11/09/2011
L'oued ksob et les îles purpuraires
Jour de pluie à l'embouchure de l'oued ksob
Le mercredi 3 mars 2010
6h.Je quitte très tôt la ville alors qu'il fait encore sombre. La ville est entièrement inondée par les pluies déluviennes d'hier soir. J'ai du faire un long détour pour éviter les vastes marres qui relient maintenant le front de mer à l'ancienne lagune : entourant la ville de toute part, les eaux transforment la ville en un véritable îlot, ce qu'elle fut d'ailleurs à l'origine. J'ai du donc faire un long détour pour rejoindre la baie : le fameux « taghart » de notre enfance est entièrement jonché de branchages rejetés par la mer la nuit précédente. Entre de lourds nuages, la lune me fait signe. La rivière doit être en crue. Je dois y aller pour prendre quelques images au levé du jour.
Au niveau de l'embouchure de l'oued ksob, une très violente pluie me fouette au visage. Les fines gouttelettes d'eau me font l'effet d'une tempête de sable. Un vent violent les porte d'Ouest en Est semble les arracher de la surface de la rivière en crue. Je me réfugie au milieu des dunes recouvertes de genêts : impossible de rejoindre en ligne droite le pont de Diabet qui semble pourtant si proche à vol d'oiseau. : des étangs emplissent la cuvettes, noyant le champs de genêts et de joncs noircis, brûlés, desséchés par le soleil brûlant de la saison d'été précédente. Cela me rappelle les virées de notre enfance lorsque sous des pluies battantes nous récoltions des escargots dans ces mêmes parages...Dans notre enfance et notre adolescence, après le vieux pont éfondré , on passait par l'allée ombragée d'eucaliptus où nous récoltions les escargots sous la pluie battante, juste en face de Diabet, là même où j'avais écrit un poème étrange et beau, inspiré du Lac de Lamartine! Puis nous traversions sous l'autre pont rose de Tangaro, avant de rejoindre à une encablure delà les fameux " trois palmiers", notre paradis secrêt, le lieu de nos pique-nique. Je ne sais pas pourquoi, à des années lumières de cette période heureuse de ma vie, je me suis retrouvé là en rêve, en présence de mes amis d'enfance et d'adolescence, pourtant disparus de ma vie depuis fort longtemps
Du nouveau pont de Diabet ; je découvre une image incroyable de l'île vue de l'embouchure.
Le Ksob coule au pied du vieux village de Diabet sous la pluie
Le nouveau pont est en plein traveaux pour relier la ville au nouveau golf : il est édifié en lieu et place du pont de Diabet qui s'est éfondré lors d'une violente crue du début des années 1920
Le soir de cette même journée , je prends ces deux dernères images du coeur de la ville
La ville semblait flotter dans l’air, nager dans l’eau.
Sous le pont de Diabet, d'après Roman Lazarev
De tout ce parcourt on n'allait guère plus loin que "les trois palmiers": au sud de la baie d'Essaouira on remontait l'amont de l'oued en passant par le chateau ensablé au milieu des tamaris(Dar Sultan el Mahdouma : le chateau en ruine du sultan), . Puis on allait s'amuser au Kow-boy sous le vieux pont de Diabet qui,à peine édifié en 1926 qu'il fut emporté une année plus tard par les innondations impétueuses de l'oued:.le lendemain on retrouva l'architecte Français qui l'avait édifié suspendu sous le pont, une corde au cou! Il s'était donné la mort parce qu'il n'avait pas supporté que son oeuvre s'effondra si rapidement! Pourtant son bon vieux pont fut le décor de nos plus beaux souvenirs.....
Les Trois Palmiers et les dunes de sable
palais ensablé au sud de la baie avant le reboisement du début du Protectorat.Le vent et le sable ont ruiné "Dar sultan": Faute de bois protecteur ses tuiles et ses arcades ont vite fait de s'éeffriter au grè des tempêtes de sable..
Autour de la ville, il n'y avait que du sable et du vent comme a pu le constater en 1804, un aventurier espagnole qui se faisait passer pour un turc au nom d'Ali Bey Al Abbassi :«… Le sable est d’une finesse tellement subtile, qu’il forme sur le terrain des vagues entièrement semblables à celles de la mer. Ces vagues sont si considérables qu’en peu d’heures, une colline de 20 ou 30 pieds de hauteur peut être transportée d’un endroit à l’autre. C’est une chose qui me paraissait incroyable, et à laquelle je n’ai pu ajouter foi que lorsque j’en ai été le témoin… ». Il fallait des matinées entières pour déblayer les portes de la ville du sable déposé durant la nuit pour pouvoir donner accès aux commerçants venus d‘un peu partout. Dans les années 1914, la situation décrite par les chroniqueurs de l’époque est alarmante. Rien ne paraît arrêter la progression de ce sable en mouvement continu et l’accès à la ville est devenu pratiquement impossible. La fixation des dunes et le reboisement ont commencé en 1918.
Encore de nos jour, on procède régulièrement à la fixation des dunes par des plantations de genêts transportées à dos de chameaux : L'indispensable reboisement pour fixer les dunes de sable..
Les dunes de sable menaçaient d'envahir la ville à chaque tempête.Il fallait attendre le début du XXème siècle pour voire fixer ces dunes par des plantations de genêt (connu sous le nom vernaculaire de "Rtem"), de mimosas et de tamaris...et de jeter par dessus l'oued ksob le pont rose de Tangaro qui permit enfin d'éviter l'isolements que connaissait la ville à chaque crue hivernale .
La ville était entourée de partout de dunes de sable
En ce Sud – Ouest marocain , l’oued Noun est un terrain de pâturage particulièrement favorable aux chameaux. La légende prétend que son nom primitif était l’oued Nouq(la rivière des chamelles). L’introduction du chameau au Sahara fut un évènement majeur pour la survie de l’homme dans un milieu hostile. Sans les troupeaux, l’homme ne peut se maintenir au Sahara. Le dromadaire y joue le premier rôle. La grande histoire désertique commence avec lui. Le dromadaire a donné à l’homme la faculté d’exploiter des végétations sur des étendues de plus en plus vastes et variées.
O troupeau de chameaux sans guide ni bride !
Presses le pas vers la bien aimée
Suit le zéphire qui souffle d’Est en Ouest
Va au devant des brumes maritimes
Et de leurs drus pâturages !
L'architecte Marie, maître d'ouvrage du pont de Diabet dans sa résidence à "Aïn Lahjar"(la source de pierre): pour défendre son honneur il s'était pendu sous le pont qu'il a édifié le lendemain de son écroulement lors de la crue du 21 nov. 1927 .L'architecte Marie était le maître d'oeuvre des bâtiments importants de la ville : l'horloge inauguré par Lyautey en personne, le pont de Diabet, la poste, la C.T.M
La poste édifiée par l'architecte Marie , digne continuateur de l'oeuvre de Théodore Cornut qui établi le plan de la ville.
Construction de la C.T.M. à Mogador par Marie
Les ouvriers employés étaient uniquement des femmes qui seraient payées par leur alimentation quotidienne en raison de la famine. En haut à gauche, Marie avec un chapeau supervise les travaux.
Et il est bien évidamment l'auteur de l'emblèmatique horloge des deux kasbahs....
Vue de l'oued ksob et de la ville depuis Tangaro, avec le pont de Diabet enjambant l'oued
Après la destruction du pont de Diabet en 1927,"un pont rose" fut construit près du lieu dit "Tangaro"
L'auberge Tangaro au sud de Mogador
Le matin du vendredi 15 Rabiî II 1272, correspondant au 4 Janvier 1856, le ciel s'était couvert d'épais nuages noirs. Une violente tempête accompagnée d'averses s'était abattue sur la ville. La mer déchaînée, avait causé la perte du navire "le Prophète" chargé de marchandises appartenant au négociant Ahmed Bouhlal el Fassi. Le jour suivant, l'oued ksob était entré à son tour en crue. La mer devenue plus violente causa la perte de cinq autres bateaux appartenant aux négociants : Ratto dit Pepe ou Bibi, consul du Brésil à Mogador, l'anglais Akrich, les israeliens Corcos le Marrakchi et Naftali, enfin Ben Mchich.
Les trois palmiers : The Palm Tree Hotel - Mogador
Pépé Ratto avait en effet entamé la construction de l’hôtellerie des « trois palmiers » vers 1890. Elle fut connue de tous les touristes qui faisaient escale à Essaouira. A la suite du siège de la colonne Massoutier à Dar ElCadi dans la localité de Smimou par les troupes du caïd Anflous et Guellouli ,les colonnes Ruef et Bellanger occupèrent successivement l’hôtellerie du 27 décembre 1912 jusqu’au matin du 20 janvier 1913, date du départ de la colonne du Général Brulard de Mogador pour délivrer les soldats français et châtier les caïds qui avaient participer au siège. L’utilisation par les français de cette hôtellerie comme fort militaire, fut interprétée par les habitants comme la collaboration de Pépé Ratto avec les troupes d’occupation. Devant la gravité de la situation, le propriétaire des lieux dut évacuer l’hôtellerie le 18 décembre 1913 pour retourner à Mogador. C’était ainsi que la Palméra ferma ses portes, et tomba dans l’oubli après avoir connu pendant plusieurs années, une grande renommée dans les annales de la presse européenne. Profondément déprimé, Pépé Ratto décéda en 1917 à Essaouira, la ville qui l’avait vu naître, grandir et s’épanouir.
Parente de ce Ratto, cité plus haut, Michèle Gaudon m’écrit maintenant depuis Toulouse : "Je suis très attachée à Mogador, ville qui a accueilli ma famille dès 1845 - Elle venait d'Andalousie pour certains, et de Gênes pour d'autres;Ma famille maternelle : RATTO - DAMONTE et BENITEZ et moi y compris, y avons vécu de 1845 à 1959. Mogador est dans notre cœur depuis toujours.Je suis, de loin, son évolution.son devenir...Les Souiris sont chers à mon cœur - tous, sans exception.J'ai connu l'époque où juifs, arabes et chrétiens s'entendaient -MM Desjacques et Koeberlé étaient mes professeurs... et j'étais là lors de leur découverte sur Juba II. Nostalgie.Cordialement."
Landing Passengers - Mogador
Jadis , les touristes anglais débarquaient à Mogador puis se rendaient au sanatorium à dix kilomètres au sud d'Essaouira avant de poursuivre leur chemince vers Marrakech comme a pu en témoigner Eugène Aubin au mois de novembre 1902 : "Un Gibraltarien, très en avance sur son temps, a établi un sanatorium à dix kilomètres de la ville, sur un plateau rocheux recouvert de buissons, de genêts, de lentisques et d'arganiers qui s'étend entre la mer et les premiers contreforts de l'Atlas.Afin de se rendre à Palm Tree House, on quitte Mogador par la route du Sous pour suivre la longue plage circulaire qui entoure la rade et forme la promenade favorite des habitants. Une fois l'oued kseb passé à gué la piste longe le petit village de Diabet, tout enclos de murs qui s'élèvent sur de hautes dunes de sable pour trouver une ligne droite tracée à travers les genêts et conduisant directement au sanatorium.C'est une maison rouge sans étage, installée avec un confort précieux dans ces solitudes; les malades n'y viennent point encore mais elle reçoit de temps à autre, quelques hôtes anglais, en route pour visiter Marrakech ou en quête d'un bon terrain de chasse.Ceux qui recherchent ce sport sont servis à souhait, le plateau abonde en perdrix, lièvres, sangliers et porcs-épics."
Une piste romaine reliait Tangaro sur les hauteurs Sud de Diabet à « Karkora » au bord de lamer via une magnifique forêt de thuya, de mimosa grouillant de perdrix, de lièvres et de sangliers : aujourd'hui toute cette faune et toute cette flore a disparu sous le green du nouveau golfe qui occupe une superficie supérieure en hectares à celle de la ville. Cet immense espace aujourd'hui entièrement grillagé et interdit d'accès , était sauvage et servait depuis le XVIème siècle comme pâquis où venaient brouter librement les troupeaux de Diabet et où les gens de la ville organisaient leurs « Nzaha » (pique - nique rituel) à l'ombre des ruine de Dar Sultan ensablée. Les marins de Diabet, avec leurs filets de pêche pour rejoindre le front de mer empruntaient jusqu'à une période récente cette lumineuse et sauvage piste blanche disparue sous le green. Cette ancienne piste romaine aboutissait à « Karkora », là où sont établies, sur le récif, les huttes des récolteurs d'algues. Cette piste blanche, disparue sous le green, reliait jadis l'antique puits de TANGARO aux digues de KARKORA , ces bassins de pierres dont se servaient jadis les Romains pour y piéger les poissons quand lamer se retire à marrée basse. C'est une technique qui est encore utilisée de nos jours, là où il y a de fortes marées : en se retirant , la mer laisse derrière elle les poissons, qui sont ainsi pris au piège par ces anciens bassins de pierres, dénommés ici « KARKORA », le féminin de « KARKOR », le tas de pierres sacrées en langage vernaculaire.
Cet immense site des îles purpuraires abritait en effet deux fabriques romaines : l'une sur la plage de l'île au niveau du tertre produisait la pourpre à base du gland du Murex, coquillage auquel les romains donnaient le nom de Purpura Haemastom (d'où le nom des îles purpuraires que portait Mogador de Juba II). La seconde fabrique est celle du garum. Elle était située sur le continent à l'emplacement actuel du lieu - dit « KARKORA », des récolteurs d'algues, soit à mis - chemin entre la Tour de Feu Phénicienne ;le « Borj El Baroud » des Saâdiens et Cap Sim.
L'éolienne de Tangaro
Le garum est une sauce de poisson - pourri , dont les romains étaient friands, qui était concocté à la manière du Nyak -Nyam Vietnamien. Une fois pris au piège au bassin de pierre de KARKORA, les romains transportaient ce poisson à dos de mulets et de chameau,à travers la piste blanche disparue sous le green, jusqu'aux hauteurs de Diabet où se trouvait le puits de « Tan - garum », devenu plus tard « TANGARO » où se situe l'auberge du même nom. Les romains puisaient là, l'eau douce dont ils avaient besoin pour se désaltérer et pour fabriquer le garum.Or en berbère le puits se dit « Tanout » : Imin - Tanout signifie la margelle du puits chez les sédentaires Masmoda dont font partie les Haha au Sud d'Essaouira et « Anou Ou Kchod » qui a donné Nouakchott, l'actuelle capital de Mauritanie, signifie le « puits du bois » en langue Sanhaja,
les premiers nomades berbères du Sahara. Le toponyme de « TANGARO » dérive donc d'un mot composé du nom du puits en berbère Haha « Tan » et du poisson - pourri romain « Garum » ; ce qui donnera plus tard le toponyme de « TANGARO », lieu - dit situé à l'emplacement de l'auberge du même nom où trône d'ailleurs au milieu des cactus et autres genêt, une vieille éolienne dont les pales métalliques bruissent perpétuellement sous la fureur des vents alizés.
DEUXIEME PARTIE
LES ÎLES
PURPURAIRES
Goéland cendré et faucon d'Eléonore
Le citoyen Broussonet est le premier vice-consul français à Mogador Ce fut seulement en 1798, qu’il partit de Montpellier pour rejoindre son poste à Mogador : « je serais au comble de mes vœux , écrit-il si je pouvais être envoyé à Mogador ; c’est le lieu de passage des oiseaux qui viennent d’Europe, et la quantité de volaille qu’on y trouve est réellement prodigieuse. »En y arrivant il découvre « d’immenses argans, dont on recueillait alors les fruits » ainsi que le thuia, dont on tire la résine de sardanaque ; « le thuia sandaraque ; le gommier, arbre important du genre de mimosa, dont on tire une gomme qui est un des objets du commerce du pays, que les arabes emploient en onguent dans les maladies cutanées ; un stapélia, leur sert d’aliment et grand nombre d’autres végétaux rares et inconnus. »
Autour de l’île, les eaux sont si poissonneuses qu’on y pêche avec les algues, par nuit sombre, comme au clair de lune. Sans cesse un vent impitoyable balaie tout sur son passage. Quand souffle le vent du nord, il faut pêcher sur l’îlot de « firaoune », mais quand souffle le vent du Sud, il faut aller jusqu’à la grande île. Les goélands y forment une véritable voie lactée aux milliers d’ailes qui vibrent avec douceur, comme des prières bercées par les vagues.
Le faucon Eléonore niche ici du mois d’avril au mois d’octobre, loin des bruits et des fauves, au sommet des montagnes...L’hiver, les étourneaux , ces oiseaux solaires qu’on appelle zerzour, forment un immense « boa volant », qui orne le ciel et se confond avec lui. Calligraphie céleste, noria tournoyante au crépuscule. Ces oiseaux sont les gardiens de l’île, ou peut être la réincarnation des âmes qui la hantent encore.
A Essaouira, à l’embouchure de l’oued ksob et sur les parois des îles pupuraires Afalkay, le faucon d’Éléonore vient nicher du mois d’avril au mois d’octobre;On trouve des faucons sauvages dans les Doukkala mais c’est surtout en allant vers le Sud, à partir de Safi qu’on les trouve en abondance. Déjà, il y a cinq siècles, Diégo de Torres signalait les monts clairs, c'est-à-dire le Haut Atlas comme un pays où on trouvait des faucons réputés.
Les Doukkala distinguent deux espèces de faucons : le Bahri et le Nabli. Quand ils ont jeunes, ils se ressemblent tous les deux. Le Nabli devient plus grand et plus beau. Ses yeux sont grands et noirs et sa poitrine devient avec l’âge toute tigrée. Le Bahri chasse de la Ânsra, le 24 juin, jusqu’à mars. Et le Nabli d’octobre à la Ânsra. Le reste du temps, on les tient à l’attache. Aucun d’eux ne chasse la grosse outarde, ou l’Ahbara.
La chasse est un sport à l’honneur chez les Doukkala. Ils ont poussé assez loin, l’art de dresser les oiseaux, et c’est chez les Doukkala que se trouvent les plus célèbres fauconniers du Maroc. « la chasse au faucon rajeunit » disent les adeptes, en raison du plaisir intense qu’elle donne. En même temps qu’elle pousse au maximum toutes les facultés locomotives. Les fauconniers , ou Biaza au Maroc, forment une sorte de corporation placée sous le patronage de Sidi Ali Ben Qacem. Ce saint homme vivait à Marrakech où il mourut. Son sanctuaire se trouve actuellement derrière laKoutoubia. Les fauconniers qui prétendent aujourd’hui descendre du saint s’appellent , en son souvenir, Qouacem.
A l’époque de la domination portugaise les faucons figuraient au nombre des redevances féodales des petites villes berbères comme Agouz. De même lorsque les espagnoles traitaient avec les rois de Tlemcen ; ils obligeaient ceux – ci à leur livrer annuellement un nombre déterminé de ces oiseaux.Cette descendance maraboutique des fauconniers, leur organisation en une corporation d’ailleurs aristocratique et religieuse, peuvent sans doute être considéré comme des vestiges d’une époque antique à laquelle le faucon avait un caractère sacré.
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Sculpture des vagues et du vent
Depuis la haute antiquité le site est fréquenté, d'abord par les Phéniciens comme en témoigne la bétyle dressée au ciel qu'on a découvert sur l'île, ensuite par les Romains dont on a retrouvé, toujours sur l'île, entre autre les vestiges d'une villa, d'une mosaïque représentant un paon et d'une pièce de monnaie à l'effigie de Juba II. Et il y a encore peu de temps de cela, des marins ont remonté dans leurs filet deux amphores romaines entièrement intactes, recouvertes seulement de coquillages et d'algues. Et non loin des récifs de la Scala de la mer, où les anciens entrepôts de canons et de poudre sont actuellement occupés par les ateliers des marqueteurs, d'autres marins ont de leur barque entrevue au fond de l'eau, par temps calme et eau transparente, ce qui ressemble à une autre mosaïque romaine que celle déjà répertoriée sur l'île.
Tête romaine découverte en novembre 2006 à proximité d’Essaouira
Bronze représentant Juba II trouvé à Volubilis.
Analysant cette découverte, Jean François Clément écrit :Provisoirement, nous pouvons conclure que la principale arrivée d’eau du canal d’adduction des maisons qui bordaient la plage d’Essaouira avait reçu du roi de Maurétanie, au cours du siècle qui précède notre ère ou du premier siècle de notre ère, un décor de marbre, donc un objet d’un très grand luxe. Le matériau et le modèle sont grecs. Il est possible que cet objet soit contemporain du roi hellénisé Juba II plutôt que de son père. Il pourrait aussi appartenir à l’époque de son fils Ptolémée. L’absence de ruban diadémé indique qu’on n’est pas en présence d’une figure royale. La bouche ouverte et l’absence de lèvres font donc plutôt penser à un Faune ornant une fontaine. Mais ce ne sont là que des hypothèses très provisoires que l’analyse chimique et physique de l’objet en question peut modifier.
Le site d’Essaouira est habité depuis plus de vingt-cinq siècles. On trouve cette ville mentionnée sur la carte de Ptolémée, sans doute, sous le nom de Thamusiga (ou des îles de Cerné). Elle est située entre le cap Hercule et le cap Oussadion (sans doute en tachelhit d’aujourd’hui, cap U-Assiden ou des autruches). Ce terme de Thamusiga est un mot qui représente sans doute tama n-ousiga, c’est-à-dire « à côté du canal ». Cela peut signifier soit le canal qui, dans la mer, sépare la côte des deux îles, îles appelées tantôt Cerné, tantôt ïles puerpéraires, plus tard, île de Pharaon.
On peut signaler que ce « canal » pouvait facilement être traversé à pied jusqu’au début du XXe siècle, le chemin ayant même été relevé par des marins puisqu’il figure sur une carte. On peut donc penser qu’il y eut, comme au XIXe siècle, un canal liant l’oued Qçob à la zone où se trouvaient les anciennes villas des industriels et commerçants qui se trouvaient le long du rivage deux à trois mètres plus bas que le sol actuel recouvert depuis le XVIe siècle par des sables.
Le passage permettant de rejoindre à pied l’île de Mogador.
On n’a jamais retrouvé le site de cette ville antique. Les pêcheurs disent qu’il y a des mosaïques sous l’eau dans la baie, mais aucune recherche systématique n’a été faite. On peut imaginer que la ville était une agglomération tout en longueur située tout au long de la baie le long d’un canal d’amenée d’eau douce, ce qui expliquerait le nom de la ville, « celle qui est située le long du canal ». On pourrait peut-être même rapprocher les termes ancien de siga et moderne de seguia.
Rivages de pourpre
Coquillages par Roman Lazarev
Sur la plage de Safi, à deux kilomètres au nord d’Essaouira, les explorateurs ont découvert des amoncellements considérables de coquillages de Murex et de Purpura Haemastoma – le vent ne cesse d’en découvrir pour les recouvrir ensuite lorsqu’il remodèle les dunes –, confirmant que c’est bien ici que se situaient les îles purpuraires, où Juba II avait établi au 1ersiècle av. J.C. ses fabriques de pourpre.
D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires : « L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... »
A propos de cette carte de Ptolémée trouvée en Égypte à la fin du XIXe siècle, Jean François Clément m'écrit: "J'ai mis le nom d'Essaouira en face de Tamousiga (en grec pour transcrire tama-n-siga, à côté de la rigole d'alimentation en eau, à côté du canal en provenance de l'Oued Qçob qui alimentait les villas présentes en bord de côte, là où le passage vers l'île pouvait se faire à pied et là où vivaient les industriels faisant exploiter sur l'île par leurs ouvriers la pourpre) ."
Libya interior sur la carte de Ptilémée
Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »
La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.
Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »
C’est le long de la côte que les brouillards fréquents et les influences marines rendent le pâturage relativement abandon. Nous sommes à hauteur de l’île fortunée la plus importante des îles Canaries que certains archéologues identifient à la mythique île de Cerné. Cette île de Cerné située au large du Sahara occidental entre le cap Juby (Tafaya) et le cap Bojador. Sur ces rivages, la présence de monceaux de coquilles de purpura haemastoma et de murex, répondant à ceux des environs de Mogador nous apportent la preuve d’une industrie très active sur toute la côte marocaine évoquée par les auteurs anciens lorsqu’ils citent « la pourpre Gétule ». On sait combien les romains recherchaient le précieux coquillage qui sécrète la pourpre et quelle teinture renommée ils fabriquaient avec ce produit. Les textes de l’époque romaine mentionnent des pêcheries et des ateliers sur divers points du littoral marocain, vraisemblablement sur l’île de Mogador et à l’embouchure de « la rivière dorée » (Oued Edahab). Horace et Ovide vantaient les vêtements somptueux teints de pourpre Gétule. On appelait « Gétules » les populations berbères nomades qui vivaient au sud des provinces romaines d’Afrique. On peut donc admettre que la pourpre Gétule provenait de la côte atlantique du Maroc. Cette teinture dont les nuances allaient du rouge au violet et au bleu verdâtre dont on imprégnait les étoffes de laine et de soie était si estimée . Pomponius Mela nous dit à ce propos : « Les rivages que parcourent les Négrites et les Gétules ne sont pas complètement stériles ; ils produisent le purpura et le murex qui donnent une teinte d’excellente qualité et célèbre partout où on pratique l’industrie de teinturerie »
Le trafique transsaharien entre Gétules, les berbères du Maroc dont nous parlent les auteurs antiques et les Ethiopiens de Bilad Soudan remonte certes à l’antiquité mais il ne prit véritablement son essor qu’avec l’avènement de la conquête arabe du Maghreb au VIIIème siècle. Il connaîtra une poussée considérable sous les Almoravides et les Almohades. Il ne fait pas de doute que c’est la quête de l’or qui faisait traverser au marocains le Sahara pour rejoindre le pays des Noirs. Cette route qui menait au Sénégal au royaume de Shanghai passait à travers les Regraga , les Gzoula et les Sanhaja
En plein Sahara, bien au-delà du M'sied.
Peintures rupestres d'asgar filmées en 2005, pour"la musique dans la vie",
Peintures rupestres d'asgar
Les Berbères et les Noirs sont les premiers fondateurs d’oasis sahariens comme en témoignent les peintures rupestres découvertes récemment au-delà du Msied et du mont Tassoukt qui le surplombe. Le site préhistorique en question se situe sous un abri rocheux effondré qui surplombe l’ancien oued desséché d’Asgar. Sous le bloc effondré, l’abri principal du site recèle les peintures rupestres d’animaux de la grande faune africain . On distingue une antilope : c’est le mammifère saharien qui a le cuir le plus solide. Les Lamta se servaient jadis de la peau du mâle pour la fabrication des boucliers. Un peintre représentait des girafes. Il y a là aussi le mouflon, un bouquetin, une autruche, le plus grand oiseau africain. On peut admirer aussi la représentation d’un char à l'e(ncre rouge, représentation symbolique de la route des chars qui reliait le Maghreb à l’Afrique subsaharienne. Tout près de l’entrée de l’abri principal qui abrite les grandes arches, on a dessiné un petit éléphant brun. L’éléphant d’Afrique, le plus grand mammifère terrestre. L’éléphant fut certainement l’un des premiers animaux à occuper le Sahara dés l’établissement de conditions favorables. Il a peut-être été aussi, l’un des premiers à l’abandonner quand la tendance s’est inversée. Scène de la vie pastorale : la représentation d’un homme qui tient un arc à la main. Les animaux sauvages sont plus nombreux que les animaux domestiques. Ce sont les girafes qui apparaissent le plus souvent. Ainsi donc, le vaste désert qui est aujourd’hui le Sahara a connu il y a 8000 ans, un climat beaucoup plus propice au développement animal et à la présence anthropique. Les hommes qui vivaient à cette époque ont couvert de gravures et de peintures, les massifs rocheux depuis l’Atlas saharien jusqu’au Soudan.
C’est que le Sahara a été non pas un obstacle mais plutôt un lieu de brassage et de métissage, entre les sédentaires Masmouda, les nomades Sanhaja, et le Soudan (le pays des noires), bien avant l’arrivée des moulattamoune ,ces porteurs de lithâm (voile), ces arabes maâqil Hassan, qui furent le fer de lance des Almoravide, et qui partirent à la conquête de l’Andalousie musulmane depuis les ribât, ces couvents – forteresses, du bord du fleuve Sénégal.
La petite histoire d’une grande découverte
Jusqu’en 1950, on pensait que les Phéniciens et les Romains n’avaient peut-être pas dépassé le Nord du Maroc, alors que du côté de Luxus et Volubilis on avait les preuves évidentes de leur présence, il n’y avait rien de semblable au Sud jusqu’au jour où des enseignants, MM Desjacques et koeberlé allaient entreprendre des fouilles systématiques dans l’île de Mogador, qui prouvent que le monde antique allait en réalité beaucoup plus au sud que le fameux limes, plus exactement jusqu’à l’île de Mogador qu’on peut identifier à la mythique Cerné qu’évoque le périple d’Hannon .
G.Lapassade à Essaouira, 1993 (ph.de Luigi Di Cristo, archives de Martino)
En 1985, Georges Lapassade profite du passage dans la ville de Desjacque et de sa femme pour les interroger à ce sujet, et publie le résultat de cet entretien sous le titre : « la petite histoire d’une grande découverte » :
« En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici :
- Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol.
Mais il fallait pour éclairer la première découverte faite dans l’île une référence que Desjacques et Koeberlé connaissaient bien : le court récit dit du « périple de Hannon », sauvé de la destruction de Carthage dit-on, par un copiste grec. Ce document décrit le parcourt du navigateur chargé de retrouver et fixer les étapes d’un parcours maritime. Le contenu du texte interprété donna à Desjacques et Koeberlé la conviction d’avoir mis à jour la preuve d’une étape phénicienne dans l’Atlantique peut être Cerné « où nous fondâmes une colonie » écrit l’auteur du périple d’Hannon. Ils organisèrent alors un petit Musée pour leurs élèves et pour la ville à la Sqala :
- C’était une pièce minuscule qui abritait tout ce que nous ramenions de l’île : les débris de vases, les pièces de monnaies. Raconte Desjacques.
Les pièces sont maintenant au Musée d’archéologie de Rabat. Desjacques et sa femme vont séjourner en vacances chez des amis qui habitent à Agadir :
- Nos amis, demeuraient près du rivage de l’Océan, raconte Odette Desjacques. Un jour de grandes marées, à l’heure où la mer était retirée loin de la côte, j’ai vu des femmes ramasser des coquillages dans les rochers. Elles cassaient les coquilles, les broyaient, les lavaient à l’eau de mer et conservaient dans de grands couffins, la partie comestible. Je me suis approchée d’elles, et j’ai remarqué alors que leurs mains étaient violettes. Or nous parlions souvent, à Mogador, avec mon mari et Koeberlé de la fameuse pourpre de Gétules pour laquelle les Romains avaient installé dans l’île des « fabriques ». On ne savait pas comment la teinture était fabriquée. Et voilà que ces femmes d’Agadir nous apportaient la solution de l’énigme ! Je me souviens que nous avons mis quelques coquillages brisés dans un tissu de coton blanc qui a toujours gardé la couleur...Il y avait, dans le coquillage, une glande jaune au moment où on la recueillait en cassant la coquille. Puis la couleur changeait au soleil et devenait verdâtre, puis violette, plus précisément « pourpre »....Nous avons apporté quelques coquillages vivants à Mogador, nous les avons déposé dans les rochers à la « plage de Safi » pour essayer de les faire reproduire. Mais le sable les a recouvert. Or sur cette même plage, nous avons trouvé des coquillages pour être précis, les purpurae haemastomae, vides avec un trou dans la coquille. C’est par cet article qu’on extrait la précieuse glande. On pourrait probablement en trouver encore aujourd’hui au même endroit. Nous en avons fait identifier, à Paris au Muséum, les résultats ont été probants."
Le site de l’île comme lieu de fouilles a été trouvé on l’a vu, par hasard alors qu’on y cherchait des silex taillés...D’après Pline, Juba II organisa une expédition sur l’archipel des Canaries à partir des îles purpuraires :
« L’expédition organisée par le roi Juba II partit des îles purpuraires, c'est-à-dire de Mogador, et suivit une route qui atteste une réelle connaissance des courants et du régime du vent dans cette partie de l’océan : « les îles fortunées, écrit Pline d’après Juba, sont situées au midi un peu vers l’ouest des Purpurariae... »
Si l’on voulait aller de Mogador aux Canaries en droite ligne, on était pris dans un courant qui portait du large vers l’Est, donc vers la côte. Il valait mieux s’y soustraire, ce qu’on faisait en se dirigeant vers l’Ouest, une fois cet espace traversé les navires se trouvaient dans la zone des forts courants du Nord au Sud, produits par les vents alizés, certains de dériver assez sensiblement au Sud pour atteindre les Canaries. Le long du continent les vaisseaux de Juba II, ne semblaient guère avoir dépasser Mogador. La carte qu’Agrippa fit dresser à l’époque de Juba, n’indiquait pas de ports après portus Rhysadments, qui pourrait devoir être identifié à Mogador...Au second siècle de notre ère, les renseignements précis de Ptolémée s’arrêtent également à la région de Mogador. Dans son « libyca », l’ouvrage que JubaII consacre au pays natal, où il faisait usage du Périple d’Hannon...C’est sans doute dans ce traité qu’il mensionnait les teintureries crées par son ordre aux îles purpuraires. »
Pour Vidal de la Blache, il ne fait pas de doute que nous avons à Mogador « le site où, d’après nous, Juba – après avoir entrepris des recherches dit Pline -, se décida à installer des ateliers de pourpre. »
Selon le texte de Pline l’ancien : « les renseignements sur les îles de la Mauritanie ne sont pas plus certains. On sait seulement qu’il y en a quelques unes en face des Autololes, découverte par Juba, qui y avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie. »
La pourpre était extraite de la glande du Murex. C’est une glande grosse comme le bout du petit doigt, un peu jaune soufre, jaune pâle, qui produit la pourpre. Exposée au soleil, elle devient d’abord verdâtre avant de virer au bleu, puis au violet et enfin au pourpre.
Le Murex était recueilli à l’aide de nasses à une trentaine de mètres de profondeur, sur les fonds rocheux où ces molusques se fixent par leur pied ventral. Selon Pline l’Ancien, la pêche du coquillage purpura se pratiquait uniquement à ces deux périodes de l’année, « celle qui suit le lever de la canicule ou celle qui précède les saisons printannières. »
TROISIEME PARTIE
Le mouillage d’Amogdoul
La rade d'Essaouira est un port naturel pour les bateaux à voiles.Elle a toujours été un mouillage où hivernaient les bateaux ronds de l'Antiquité et du Moyen Âge. Non seulement les îles - en paticulier celle qui ferme la baie comme une baleine qui flotte, énorme sur la mer - la protégeaient de la houle, mais un banc de sable faisait obstacle aux courants marins , en reliant l'île principale à l'embouchure de l'oued ksob. Il est indiqué sur une ancienne carte que ce banc de sable " se couvrait et se recouvrait", ce qui laisse supposer qu'on pouvait rejoindre l'île à marée basse. Une tradition orale rapporte que les troupeaux de "Diabet" (le village des loups)allaient paître au milieu d'une nuée de piques-boeufs. Les marins y sacrifiaient taureaux noirs et coqs bleus à leur saint patron Sidi Mogdoul.
Les vestiges préhistoriques et antiques incitent à penser que la région est habitée depuis des millénaires. Sur l’île on a découvert un bétyle phénicien du nom de «Migdol ». C’est une grande pierre jadis dressée dans le ciel. Pourquoi ne pas imaginer un ancien lieu de culte, là où se trouve maintenant le sanctuaire de Sidi Mogdoul ? Ce toponyme a donné au moyen âge, « Amogdoul », transformé en « Mogador » qui est une très ancienne transcription portugaise, d’un vieux toponyme berbère, attesté dés le XIè siècle par le géographe El Bekri :
« Les navires mettent trois jours à se rendre des parages de Noul jusqu’à Ouadi Souss (la rivière Souss). Ensuite, ils font route vers Amogdoul, mouillage trés sûr, qui offre un bon hivernage et qui sert de port à toutes les provinces de Souss. De là, ils se dirigent vers ce qui est le port d’Aghmat... »
Au XIIIè siècle, un autre géographe, Ibn Saïd el Maghrabi, nous dit lui aussi que le mouillage d’Amogdoul se trouve en pays Haha : « Là se trouve une petite île séparée du fleuve d’un mille. C’est un mouillage d’hiver pour les navires. Comme Tinmel est connue dans tout le Maroc pour la qualité de son huile, le pays haha est connu pour son miel blanc, ses taureaux puissants et son arbre à l’huile parfumée. A l’Ouest du pays haha se trouvent les Regraga où l’on tisse des couvertures fines et soyeuses que portent les femmes de la ville. C’est un pays au contact de l’Océan où coule la rivière ourlée des beaux grenadiers de Chiachaoua... »
Le mouillage d’Amogdoul servait donc à l’exportation des produits agricoles du pays haha, fraction des Masmoda qui sont, d’après Ibn Khaldoun, « les habitants du deren », qui vivent au voisinage de la mer. « Deren » est une déformation du mot berbère « adrar » qui signifie montagne.Cette montagne, a un nom berbère qu’elle porte sans interruption depuis l’époque romaine. C’est l’adrarn’idraren, la montagne des montagnes. A moins que ce ne soit la montagne du tonnerre de « nder», gronder, rugir :
Mer, gronde encore plus fort pour faire peur aux trembleurs !
Voilier par Roman Lazarev
Une région qui dépend énormément des aléas climatiques, comme nous l’indique Andam Ou Adrar, le compositeur de la montagne, qui représente la conscience collective du monde berbère : « Le poète et la hotte sont semblables, peronne n’en veut s’il n’y a pas de pluie et donc de récolte. ».L’un des îlots qui entourent la grande île porte le nom de Taffa Ou Gharrabou(l’abri de la pirogue en berbère). L’embarcation berbère Agherrabou, se prêtait remarquablement à l’accostage des plages parmi les rouleaux. L’avant de la pirogue se termine par une longue pointe effilée (toukcht) qui donne aux formes de l’avant beaucoup d’élégance. Appuyé sur cette pointe et penché en avant, le pilote cherche à découvrir le frétillement des bandes de tasargal (sorte de bonite) qu’on encercle sur les plages avec les filets.L’Agherraboest le véritable bateau de pêche chleuh. Le mot est connu sous cette forme du cap Juby à Safi. Le mot a pu être rapporté au grec et au latin Carabus. L’emprunt est intéressant : le mot et la chose qu’il désigne existait avant l’arrivée des conquérants arabes
Il nous est impossible de fixer la date de l’installation des pêcheurs berbères à Mogador, mais tout porte à croire qu’elle est récente et postérieure à la création de la ville au XVIIIe siècle. Dans les années vingt, toutes les embarcations berbères de la région, entre Sidi Ifni et l’oued Tensift, étaient construites par un unique charpentier, le maâlam Ahmed ou Bihi El Aferni, dont le père était lui-même un charpentier réputé, il habitait chez les Aït Ameur, à vingt kilomètres au nord du cap Guir. Il se rendait dans les différents centres de pêche et construit en un mois son embarcation pour la somme de mille francs. Mais si la commande vient de très loin, de Sidi Ifni par exemple, et l’embarcation terminée, l’équipage, venu à pied en suivant la côte, l’emmène par mer. De Mogador est parti un curieux mouvement de colonisation berbère vers le nord. Le reis Mohamed Estemo, venu d’Agadir à Mogador, organisa progressivement la pêche berbère à Moulay Bouzerktoun, Sidi Abdellah El Battach, et Souira Qdima.
Les pêcheurs berbères de ces rivages invoquaient Sidi Ishaq, perché sur une falaise rocheuse abrupte qui surplombe une plage déserte où les reqqas échangeaient jadis le courrier d’Essaouira d’avec celui de Safi : « Lorsque les pêcheurs passent à travers les vagues, il leur arrive de l’appeler à leur secours, ils lui promettent d’immoler une victime et de visiter son sanctuaire. Sidi Ishâq avait un cheval blanc que son frère Sidi Bouzerktoun lui avait donné. Lorsque les Regraga se réunissent, ils vont à cheval visiter ce saint ; les marabouts – hommes et femmes assemblés – prient Dieu de délivrer le monde de ses maux. Lorsque les pêcheurs vont vers Sidi Ishâq, ils entrent dans son sanctuaire et après avoir fait leurs dévotions, il te prenne, ô huile de la lampe, et te la verse au milieu des flots pour les calmer. »
Se rendre au sanctuaire de Sidi Mogdoul, en quête de protection surnaturelle, avant de quitter la ville, était une pratique courante à tous ceux, voyageurs et marins, qui affrontaient les risques de noyade en haute mer, ou le voyageur, celui des coupeurs de route, qui infestaient les sillages des caravanes au pays de la Siba – par opposition au pays sous contrôle du Makhzen. Et jusqu’à une époque récente, avec procession, étendards et taureau noir en tête, les marins se rendaient à Sidi Mogdoul pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères :
Sidi Mogdoul, le saint patron de la ville
« Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisonnier entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. Sidi Mogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »
Le phare de Sidi Mogdoul
Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à Sidi Kawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »
Ces seigneurs du port, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche.
Le pont et le village de Diabet
Et jusqu’à une époque récente, avec procession, étendards et taureau noir en tête, les marins se rendaient à Sidi Mogdoul pour qu’il facilite leur entreprise, comme en témoigne cette vieille légende berbères :« Sidi Mogdoul fixe les limites de l’océan et en chasse les chrétiens. Il secourt quiconque l’invoque. Fût-il dans une chambre de fer aux fermetures d’acier, le saint peut le délivrer. Il délivre le prisonnier entre les mains des chrétiens et le pêcheur qui l’appelle au milieu des flots ; il secourt le voilier si on l’invoque, ô saint va au secours de celui qui t’appelle (fût-il) chrétien ou musulman. SidiMogdoul se tient debout près de celui qui l’appelle. Il chevauche un cheval blanc et voile son visage de rouge. Il secourt l’ami dans le danger, le prend et, sur son cheval, traverse les océans jusqu’à l’île. »
Marée basse exceptionnelle
Et sur ces mêmes rivages, au Sud de cap Sim, les pêcheurs se rendaient en pèlerinage à SidiKawki où les berbères Haha procèdent à la première coupe de cheveux de leurs enfants : « s’ils sont surpris par la tempête, ou si le vent se lève alors qu’ils sont en mer, les marins se recommandent à lui. Avant de s’embarquer pour la pêche, ils fixent la part de Sidi Kawki, dont les vertus sont très renommées. On raconte qu’un individu y avait volé la nuit une bête de somme et bien qu’il eut marché tout le temps, quand le matin se leva, il se retrouva là où il l’avait prise. »
Ces seigneurs des ports, ces saints protecteurs des rivages et des marins dont les coupoles, telle des vigies de mer, jalonnent les rivages, les marins leur rendent hommage à l’ouverture de chaque saison de pêche
Une fois par an, la marée est tellement basse que les chalutiers attendent la motée des eaux à l'entrée du port
Castello Real
Castello Réal d'après le peintre Hollandais Adrien matham (1641)
Du 8 au 23 janvier 1641, le peintre hollandais Adrien Matham, séjourna en rade de Mogador et dessina un croquis de la côte et du château.Une erreur a été souvent commise concernant l’emplacement exact du Castello Real, la forteresse portugaise. On donne actuellement à Mogador, comme ruine de l’ancien fort portugais, un bastion rond situé dans les dunes, auprès de l’ancienne embouchure de l’oued Ksob, non loin du palais ensablé bâti au XVIII ème siècle par Sidi Mohamed Ben Abdellah.
Ce fort n’a rien de portugais. Il s’agit simplement d’une batterie utillisée par le sultan pour fermer la passe Sud de la baie par des tirs croisés avec une autre batterie située juste en face sur l'île. C'est cette vieille ruines située près de Diabet à l'embouchure de l'oued ksob qu'on appelle "fort portugais".La partie supérieure est musulmane (1432), les gros blocs qui ont servis de base à la construction musulmane peuvent être les vestiges de "Mogdoul", la tour punique qui a dû être construite par Hannon au fond de la baie de Mogador et a fourni l'ancien nom d'Amogdoul cité par le géographe El Békri. Ils sont battus par les brèches à chaque marée par les vagues.
Au moment de la construction des fortifications du port, les vestiges du Castello Real étaient encore debout. Avant la destruction, le Castello Real des Portugais devait ressembler en plus grand, à la bastide construite également par eux à Souira-Qdima. Orné de canons, il commandait la passe, et par la suite, l’accès à la rade.
ISLE DE MOGADOR Ses Mouillages et son Port : "Banc de Sable qui couvre et découvre" permettant de rejoindre l'île à marée basse. L’emplacement du Castello Real des Portugais se trouvait au port(là où est écrit "chateau") et non pas à l’embouchure de l’oued Ksob où se trouveborj el baroud.
Plan de l'île de Mogador - 1763
Tout près de la mer, le pilote portugais Duarté Pacheco Pereira signale en 1506, sur la terre ferme « la ville de Mogador ». De tout temps, les navigateurs venaient chercher ici cette eau douce et précieuse de l’oued Ksob, comme en témoigne Pacheco Pereira dans son Esmeraldo de situ orbi : « Entre la rivière des Aloso – de l’oued Ksob – et l’île de Mogador, la distance par mer est de sept lieues, ...de cette île à la terre ferme, il y aura la distance à laquelle une grande arbalète peut lancer une flèche en terre ferme. Il y a beaucoup d’eau douce tout près de la mer, dans laquelle cette eau douce vient se jeter. La meilleurs entrée du mouillage et du port de cette île, est celle qui se trouve du côté Nord-Est...Par cette bonne entrée peuvent pénétrer des navires de cent tonneaux ; ils s’amarrent avec une ancre et un câble, ledit câble étant attaché à l’île même, et l’on sera par six ou sept brasses, fond net, bon et sûr. »
Ce texte daté de 1506, prouve qu’à cette époque, des navires de cent tonneaux fréquentaient le port et l’île de Mogador. Bien plus, lorsque Emmanuel 1er avait donné l’ordre en août 1506, d’y construire un « Castello Réal »(château royal), il y avait déjà une ville du nom de Mogador qui existait dans la baie , comme nous le signale Pachéco : « L’année de Notre Seigneur Jésus – Christ 1506, Votre Altesse fit élever dans la terre ferme de cette ville de Mogador, tout près de la mer, un château qui s’appelle Castello Real, et que sur votre ordre construisit et commanda Diego d’Azambuja , gentilhomme de Votre maison et commandeur de l’ordre de saint Benoît de la commanderie d’Alter Pedreso, lequel fut combattu et persécuté, autant que leur puissance le leur permettait, par la mutitude de Berbères et d’Arabes qui se réunirent pour attaquer ceux qui s’en vinrent construire cet édifice ; enfin ce château se construisit malgré eux et la gloire de la victoire resta entre les mains de Votre Majesté sacrée...Entre le Castello Réal et l’île de Mogador d’une part et le cap Sim d’autre part, la côte court suivant la direction nord-sud, avec un quart nord-est et un quart sud-ouest et la distance par mer est de cinq lieues »
Arrivée des Regraga avec le printemps à Essaouira au début du mois d'Avril
L'arrivée des Regraga à Essaouira par Roman Lazarev
L’influence portugaise se heurta, devant Mogador, à une résistance dont l’âme fut l’organisation maraboutique des Regraga. Les affrontements entre Portugais et Berbères Haha devaient se poursuivre au delà de 1506.L’âme de la résistance locale à l’influence portugaise fut regraga, sous la direction du mouvement jazoulite dont le fondateur, l’imam Al Jazouli, s’établit au lieu dit Afoughal, près de Had – Draa, où il prêcha la guerre sainte contre les chrétiens, avec une telle foi qu’il eut bientôt réuni plus de douze mille disciples de toutes les tribus du Maroc.Devant l’hostilité des tribus, le Castello Real, n’avait pu être bâti que de vive force. Il dut rester assiégé un certain temps et la situation de ses défenseurs fut un moment assez critique pour que Simâo Gonçalves de Camara, troisième gouverneur de Funchal, leur envoyât à ses frais, de l’île de Madère, un secours de 350 hommes.
Une barque se dirige vers le Castello Real, estompe d'Adriaen Matham(1641)
Le plus ancien document relatif au Castello Real date du 5 septembre 1506 : c’est un alvara du roi ordonnant aux almoxarifes de Madère d’exécuter tout ce dont Diego d’Azambuja les requerra pour la construction de la forteresse de Mogador.On doit signaler aussi une quittance du 7 octobre 1507 qui indique « le biscuit, la viande, le bois, la chaux, la brique et les autres choses qu’on a achetées pour la construction du Castello Real que Diego d’Azambuja a fait par notre ordre à Mogador qui est au pays de Barbarie. »
Une quittance datée de Santarem, 24 octobre 1507, concerne les achats de blé faits en 1506, sur l’ordre du roi, au Castello Réal en Barbarie, par Pero da Costa, capitaine du navire Sâo – Symâo . Ces achats furent faits avant la fondation du château. Le 3 septembre 1507, Diego de Azambuja écrit de Safi à l’Almoxarife de Madère, pour le prier de remettre à Joâo de Rego, porteur de sa lettre, un certain nombre de choses pour le ravitaillement du Castello Réal, en particulier de l’orge pour les chevaux qui sont dans le château. La fourniture doit être prévue pour « vingt chevaux pendant huit mois ».
Vue de la baie de Mogador avec au bout le Castello Real
Le 14 octobre 1507, Joâo de Rego donne décharge de tout ce qu’il a reçu, à savoir : Onze pipes de vin, deux de vinaigre, une d’huile, 15 muids de blé au lieu de l’avoine demandée pour les chevaux, qu’on n’a pas pu trouver, 20 autres muids au lieu de biscuits qu’on n’a pas eu le temps de faire, plus un bateau neuf à quatre rames et 3000 reis en argent pour les soldes de la garnison. Nous pouvons encore citer deux documents où allusion est faite à Mogador : mention de 716 varas de toile de Brabant envoyées, en 1506, de Flandre au Castello Real en Barbarie ; et quittance du 3 janvier 1518 en faveur de Joâo Lopez de Mequa, qui fut feitor (facteur) du Castello Real pendant les quatre premiers mois de 1507 et devint plu tard, feitord’Azemmour, puis de Safi.
Le Castello Real se trouve à la pointe gauche de la terre ferme(document de missionnaire espagnol anonyme, 2ème moitié du XVIII è siècle)
Diego de Azambuja était à Abrantès le 27 juin 1507, et y reçut en don, d’Emmanuel 1er, le gouvernement du Catello Real de Mogador, en récompense de la peine que lui avait coûtée la construction de la forteresse « avec risque de sa personne et grande dépense de son argent ». Renvoyé par le roi à Safi, où il débarqua le 6 ou le 7 août 1507, Azambuja paraît y avoir ensuite résidé contamment jusque vers le milieu de l’année 1509. Son gendre, Francisco de Miranda, exerça par intérim, pendant ce temps, les fonctions de gouverneur du Castello Real.
Plano del Puerto de Mogador(Missionnaires espagnols anonymes)où on reconnait le Castello Real
Pendant les premiers mois de 1510, le gouvernement du Castello Real reste uni à celui de Safi, entre les mains de D. Pedro de Azevedo. Puis Emmanuel 1er, par lettre du 1er mai 1510, nomme Nicolau de Sousa capitaine et gouverneur du Castello Real, sa vie durant. Il est spécifié qu’au cas où le nouveau gouverneur obtiendrait la soumission de tribus dans un rayon de trois lieues autour de la forteresse, il percevrait à son profit les deux tiers des contributions versées par elles, un tiers étant retenu par le roi. D’ailleurs bien loin de soumettre les tribus des environs, Nicolau de Sousa, ne réussit même pa à conserver la forteresse.
Il semble que la place ait été évacuée le 4 décembre 1510, d’après une lettre de Nuno Gato Cantador écrite de Safi, le seul texte qu’on ait à ce sujet.Les ruines du château portugais de Mogador ne disparurent qu’aprè 1765, lors des travaux de construction du port. Les pierres du Castello Real servirent par la suite à la construction de la scala du port. A son emplacement s’élève maintenant la tour, ou bastion circulaire qui se trouve près du chantier naval et qu’on appelle Borj el Bermil (la tour du tonneau).
Le dessein de Mogador
Plan de l'île de Mogador 1763: le Castello Real au bout de la terre ferme.
A gauche le village de Sidi Bouzerktoune
« Il faut commercer avec les gens de Diabet»
Écrit Razilly à Richelieu vers 1630
Le Castello Real , n’avait pas été entièrement détruit après son abandon par le Portugal, car, en 1577, l’amiral anglais Francis Drake en avait parcouru les ruines :« Ayant fait provision de bois et visité un vieux fort bâti jadis par le roi de Portugal, mais maintenant ruiné par le roi de Fès, nous partîmes... »
Navires européens au large de Salé au temps des corsaires,Roman Lazarev
Dans sa relation, Francis Fletcher, qui prit part comme chapelain, au voyage de circumnavigation accompli par Francis Drake de décembre 1577 à octobre 1580, note : « La flotte mouille à Mogador. Les indigènes viennent à bord. Pour obtenir des renseignements sur la flotte et ses desseins, ils se saisissent par stratagème d’un de ses hommes descendu à terre et l’amènent en hâte devant Abd–el-Malek. La flotte fait voile vers le Sud. »
Sir Francis Drake, fait aussi allusion à la présence du Roi saâdien Abd-el-Malek à Mogador :
« décembre 1577. La flotte de Drake arrive à l’île de Mogador. Réception des indigènes à bord. Craignant que les navires ne fussent les avant-coureurs d’une flotte portugaise, Moulay Abd – el – Malek fait saisir pour l’interroger un homme descendu à terre. Il le renvoie vers Drake avec un présent. Dans l’intervalle, la flotte a levé l’ancre après une vaine incursion de Drake à terre pour délivrer les prisonniers. Le roi renvoit celui-ci en Angleterre. La flotte passe devant Santa-Cruz-du Cap-de-Guir. »
Esquisse de la bataille des Trois Rois par Roman LAZAREV
La bataille des trois Rois, d'après Roman Lazarev
Plan de la Bataille des Trois Rois
Une année plus tard, le 4 août 1578, le Sultan saâdien Moulay Abd-el-Malek-el-Mouâtassim – Billah (1576-1578), emporta la victoire sur le roi du Portugal Don Sébastien à Oued El Makhazine. De lui Montaigne écrit:« De sa litière, Abd-el-Malek, essoufflé, paralysé par un mal mystérieux, surplombe le champ de bataille. Il rassemble ses dernières forces, quitte sa litière, se fait apporter de force son cheval. Cet effort acheva d’accabler ce peu de force qui lui restait. On le recoucha. Lui, se ressuscitant comme en sursaut de cette pamoison, toute autre faculté lui défaillant, pour avertir qu’on tût sa mort...expira tenant le doigt contre sa bouche, signe ordinaire de faire silence. Son dernier mot : « marcher plus avant. » Son frère Ahmed-el- Mansour- Dahbi (le doré) fut aussitôt proclamé Roi.
Le 26 novembre 1626, Razilly adresse un mémoire à Richelieu, où il lui parle d’un plan d’occupation de l’île de Mogador, et des avantages commerciaux que la France retirerait de cette opération : « ...Et du même voyage que l’on aura retiré les esclaves, l’on pourra laisser cent hommes à l’île de Mogador, située à poter de canon de la terre ferme,à 32° de latitude, île très aisée à fortifier. D’autre part, il y faudrait mettre six pièces de canons et laisser du biscuit aux cent hommes, et envoyer nombre de planches de sap pour y faire des maisons, car d’autres forteresses, il n’en est jamais besoin, d’autant que l’île est naturellement toute fortfiée. Il faudrait y étblir un commerce de toile, fer, drap, et d’autres mêmes marchandises , jusqu’à la somme de cent mille écus par ans. L’on aura de la poudre d’or en payement, dattes et plumes d’autruches. Et l’on pourrait tirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l’Afrique. Le profit de la vente des marchandises pourrait monter à 30 p. 100 de gain, d’autant que le voyage est fort court : car, des côtes de France, ayant bon vent, l’on y peut être en huit jours. C’est avoir un pied en Afrique pour aller s’étendre plus loin. Il y a quelques français qui ont trafiqué dans la rivière de Gambye. Mais dans tous ces quartiers de Guinée, l’air est très mauvais. Et pour les habitations, il n’y a lieu en Afrique propre aux Français que l’île de Mogador et Tagrin (le cap de Tagrin, sur la côte de Guinée, près de la baie de Sierra-Leone), où les Portugais avaient en diverses années, armé des vaisseaux pour y dresser des colonies. Tagrine est onze degrés nord de la ligne. Les Portugais y ont été défaits par les Français. Le pays est fort agréable. Mais le reste de l’Afrique est très malsain et en beaucoup d’endroits stérile, dont je ne parlerais pas davantage. »
L 24 mai 1629, Le père Joseph écrit à Razilly, pour que ce dernier fasse agrée r par Moulay Zidân l’occupation de Mogador :
« Le dessein de Mogador étant bien conduit, est celui seul qui peut avoir de la suite et donner fondement à plusieurs grandes choses, à quoi monseigneur le cardinal de Richelieu se porte constamment. Et contribuera tout ce qui sera requis auprès de Sa Majesté pour cette généreuse entreprise....Ne vous fiez pas à ce roy barbare que sous bon gage ; c’est ce qui me fait priser le dessein de Mogador, que je tiens bien plus sûr que la parole du Maure.....Que si on s’établit à Mogador, il est utile d’y mettre le Père Pierre pour supérieur, ayant grande expérience de ce païs – là, et peut beaucoup profiter aux occasions, pour le soulagement et le salut des âmes abondonnées....La perfection de votre ouvrage serait, après avoir pris Mogador, de le faire trouver bon au roy du Maroque, et qu’il l’agréât pour la sûreté du commerce, et lui faire voir le profit qui lui en arrivera pour la richesse et sûreté de ses Etats, apaisant sa colère par le present que vous lui portez, qui fait voir que l’on na va pas vers lui comme ennemi. Que si pour cette heure, il ne le veut pas consentir, il le pourra faire après par la force ou par amour. »
En réponse à cette lettre le Cardinal de Richelieu autorise Razilly à s’emparer de Mogador et à y laisser garnison : Alais, 18 juin 1629
Suscription. A Monsieur le chevalier de Razilly.
Monsieur,
Si vous estimez, estant sur les lieux, que l’isle de Montguedor se puisse conserver et que la prise en soit utile, je vous laisse de la part du Roy la liberté de vous en saisir et d’y laisser cent hommes.Cependant, je demeure
Votre bien affectionné à vous servir.
Signé : Le card. De Richelieu
De Alais, 18 juin 1629
Mogador, comme un Alger dans l'océan
Dans la baie de Mogador 2 bateaux anglais de 20 canons et 145 hommes d'équipage.Ils sont interceptés par 2 autres bateaux marocains (avec drapeau rouge) de 24 canons et 300 hommes d'éuipage. Le Castello Real au premier plan.Document d'origine anglaise.
Anglais, Français, Espagnoles convoitaient l’île de Mogador pour sa position sur la route des indes comme le montre une plaquette espagnole qui se trouve à la Bibliotheca Nacionale, de Madrid qui expose en 1621, la nécessité d’occuper la position de Mogador en ces termes :
« Dans la partie qui regarde l’Occident, face à la côte d’Afrique qui est battue par l’océan, près du cap de Ghir, entre celui-ci et le Cap cantin, se trouve le point et l’île de Mogador qui, bien qu’elle soit petite et peu connue (heureusement pour nous), est, au dire de tous les marins qui pratiquent cette côte et la route des Indes, un port très important pour la couronne d’Espagne, parce que, par sa situation, il commande ces rivages. Ce port est vaste, facile à défendre, d’une entrée et d’une sortie sûres pour les gros vaisseaux. On pourrait sortir, lors du passage ordinaire de nos flottes, et, s’il en est qui ne connaissent pas encore ce passage, il leur suffira une sortie dans ces parages pour le relever avec précision. Et si le Turc ou un autre ennemi avait cette place et cette sûre retraite, il tiendrait, comme on dit, le couteau sur la gorge à toutes nos entreprises pour les égorger ; et si cette position est importante pour eux, c’est une raison pour nous de l’occuper afin qu’ils ne l’acquièrent pas. Les ordre militaires pourraient très bien se charger de cette opération, avec le concours des navires qui croisent ordinairement devant les autres ports de la côte d’Afrique ; et même on pourrait confier la garde de cette place à l’un de ces ordres, de même que celui de Saint Jean à celle de Malte, qui lui a été donnée de nos temps par l’empereur Charles Quint . Car, à bien éxaminer, comme il est nécessaire de le faire, une chose si importante, si une autre nation occupe cette île, que l’on dit être par elle-même très désirable, outre la place et le port qu’elle contient, il y aura dans l’Océan, près de la route ordinaire d’ici aux îles Canaries, et non loin d’elles, un obstacle fort dangereux pour la sécurité de la navigation, sur lequel repose l’existence et la richesse de l’Espagne, et qui doit principalement maintenir cette monarchie pour sa conservation.
En effet, au dire de capitaines et marins expérimentés, Mogador occupée, c’est un Alger dans l’Océan, par sa situation, son port et sa retraite assurée, pour toutes les entreprises que l’ennemi turc ou hollandais tenterait contre nous, avec une sortie sûre et commode pour faire delà toutes ses courses et arrêter et inquiéter les flottes des Indes Orientales et Occidentales, qu’il rencontrerait forcément non loin de ce parage, quand elles passeront pour prendre hauteur ; et une fois que les ennemis auront occupé ce point, ils sont à même de détruire ou conquérir les Canaries, en coupant les communications de ces îles.
Si le Turc tient Mogador, il peut tenter d’étendre sa domination sur le Maroc, ainsi qu’il est devenu par Alger maître de Tunis, car celui qui est maître de la mer qui baigne un pays est fort à portée d’en conquérir l’intérieur en empêchant le peuple conquis d’être secouru par mer ; et tout ce qui établit les avantages que le Turc retirerait de ce point fait ressortir combien notre situation serait critique, s’il venait à l’acquérir...Dieu, moteur universel des choses, par la providence duquel elles se gouvernent, nous a fait la grâce que jusqu’à présent l’ennemi n’ait pas connu cette position. Autrefois les Maures n’usaient pas de vaisseaux de haut bord ; aujourd’hui, les prises qu’ils ont faites leur ont donné des forces et de la cupidité, car le gain et l’intérêt donnent de la vaillance,et c’est le profit qui nourrit les sciences. Ils voudront ne plus avoir besoin, pour opérer dans l’Océan de passer par le détroit, et voudront d’autant plus avoir un établissement sûr de ce côté-ci, d’où pourront sortir pour faire leurs prises ces corsaires Turcs si nombreux qui opèrent aujourd’hui, réunis aux Irlandais et aux Hollandais, dont nous devons nous méfier davantage. Ils se trouveront dans Mogador comme dans une tour ou un observatoir d’où ils sortiront pour fondre sur ceux qu’ils auront remarqué s’avançant sans précaution ; et maîtres de ce point, ils attaqueront tout.
Aussi pour éviter la longueur de la route et s’assurer gratuitement une meilleure position, en ayant sous la main un port à garder et vendre ses prises, caréner ses vaisseaux, et reposer et approvisionner ses équipages et flottes. Et cette maison se trouve au milieu du bois où il chasse, qu’y aurait-il d’étonnant à ce qu’il la dispose pour y passer la nuit en sécurité, sans payer le logement, y trouvant une place d’armes pour son ravitaillement et un dépôt pour ses marchandises, avec une entrée et une sortie large et sûre, causant à l’Espagne une crainte horrible et inquiétant delà toute la chrétienté ; car, si ce qu’aujourd’hui nous pouvons posséder avec sécurité est occupé par eux, il sera nécessaire de vendre les calices des églises pour les en déloger, et nous ne sommes pas certain du succès.
Et quand on considère tout ce qui vient d’être dit, il est très certain qu’il n’est pas besoin de la force ni du secours du Grand Turc pour prendre ce que personne ne défend, et que si les Hollandais s’établissaient en permanence à Mogador, y descendraient à terre, s’y installaient comme dans une tente ou une baraque, entrant et sortant sur leurs navires, ils créeraient là en peu de temps une place sûre et fortifiée, et c’est une miséricorde et un miracle exprès de Dieu qu’ils ne le fassent pas. Plus on fermera le détroit et l’on en fortifiera la sortie, plus il importe aux Hollandais d’avoir là-bas un point d’appui sur l’Océan et un port où ils puissent se réunir et, après s’être rassemblés de conserve en grosse et forte compagnie, sortir pour rompre notre défense, sans qu’il y ait pour l’empêcher d’autre que Jésus-Christ. Qu’il daigne, par les mérites de son sang, faire en sorte que cette gloire revienne à la noblesse d’Espagne et à ses ordres militaires, pour l’exaltation de sa foi et l’honneur de sa bienheureuse mère qui soit louée à jamais ! Amen. »
Mogador du temps des saâdiens
La silhouette du château portugais de Mogador devait, se trouver modifiée par des réfections, dont certaines dataient du règne de Moulay Abd-el-Malek ben Zîdân, qui y séjourna au mois d’août 1628 : « Voulant voir Mogador, petite isle sur la mer Athlantique, entourée de rochers excessivement hauts, qui font des precipices espouvantables, y faisant séjour de quinze jours, son exercice fut de courir à la chasse des hommes, et, lorsqu’il en avait rencontré, les monter en haut de ces rochers et les précipiter dans la mer, en riant à gorge déployée. Et un jour se promenant en bateau autour de cette petite isle, le vent s’étant si fort eslevé qu’il estoit en danger de périr, ses alcaïds l’ayant mis à bord comme les plus experimentez de ses pilotes, pour salaire il les fit bien bastonner puis fouetter. Et après, les ayant fait boire avec luy, les prit pour compagnons, pour luy ayder au massacre de vingt deux pauvres barbares, qu’il tenoit enchaisnez auprès de luy. Sortant de ce lieu pour aller en chedma, où son frère Moulay el-Oualid lui fut livré entre les mains par un traistre, après en avoir fait les feux de joye, il luy feit mettre les fers aux pieds, le conduisant luy – mesme jusques à Marroque pour l’executer en temps convenable : celuy de la Pasque du mouton. Revenu qu’il fut en chedma, ayant envoyé au supplice plusieurs esclaves françois qui servoient à son écurie...De chedma, tournant vers Safy pour y faire quelque demeure, pour estre l’un de ses plus beaux chasteaux, en quatre mois qu’il demeura, il n’y eut jour qu’il n’y fist quelque massacre... »
Ce passage figure dans une biographie caricaturale, de Moulay Abd el-Malek ben Zîdan, écrite l’année de sa mort le 10 mars 1631. Elle semble avoir été composée, sinon par le père François d’Angers, du moins par quelque capucin de la mission du Maroc. On noircissait le tableau à souhait pour justifier les collectes d’argent, en vue de racheter les captifs européens retenus comme esclaves au Maroc, et pour occuper l’île de Mogador qui leur semblait situer sur une position stratégique le long du litoral africain. A cette époque des Anglais étaient retenus en esclavage à Mogador par Moulay – Abd-el-Malek, comme le rapporte dans son mémoire du 8 octobre 1630 John Harisson : « Si le Sultan Moulay Abd– el–Malek refuse encore de mettre en liberté, les Anglais qu’il retient en esclavage, Charles 1erdevrait s’emparer de l’île de Mogador et y fonder un établissement dans les mêmes conditions qu’à la Mamora. Ces deux places attirent tout le commerce du Maroc et permettraient de constituer des approvisionnements en vue d’attaques contre des possessions espagnoles. »
Des nombreux oiseaux qui peuplent l'endroit, Adrien Mathan pouvait déjà témoigner en 1641.Il faisait état de l’existence d’une Kasbah, abritée derrière les rochers où vivaient les corsaires Béni – Antar :« Le 8 janvier, au matin, nous nous sommes trouvés en vue de l’île de Mogador, et nous avons mis notre cheloupe à la mer pour voir si la rade était bonne pour nous. Nous y avons trouvé quatre toises d’eau, entre l’île aux pigeons et l’île de Mogador. Dans l’après midi, nous avons jeté l’ancre et tiré une salve de trois coups de canon, auxquels les gens de la kasbah ont répondu par un coup.Le 9 au matin, notre cheloupe est allée à terre, par un vent nord-est, pour voir s’il y avait moyen de se procurer de l’eau fraîche, et aussi si nous pouvions trafiquer avec les Maures de la Kasbah. Ceux-ci ont accueilli amicalement nos gens et ils nous ont envoyé à bord leur interprète, un juif, en échange duquel, suivant leur coutume, un des nôtres devait rester à terre, comme otage, tant que durerait, des deux côtés, les visites de leurs gens à bord et des nôtres à terre.
La kasbah est munie de onze ou douze canons en fer, et, vue d’une certaine distance, elle a l’apparence d’un four à chaud hollandais ; mais l’île aux pigeons est inhabitée, sauf qu’on y trouve d’innombrables pigeons sauvages qui se nichent par milliers dans les rochers et qui sont si familiers qu’ils se laissent prendre avec la main. Il y avait dans un petit bosquet, à terre, un faucon qu’un de nos gens aurait pu prendre, s’il l’avait vu, car il faillit mettre le pied dessus, et c’est alors seulement que le faucon prit son vol. Pour parcourir cette île aux pigeons dans sa longueur, il faut une bonne demi-heure de marche environ : sa largeur ne dépasse pas dix fois la longueur de notre vaisseau ; mais elle est très élevée et sans eau fraîche. On trouve seulement entre les rochers de l’eau de pluie en très petite quantité.Pour en revenir à l’île de Mogador, toujours est-il que nous avons pu y faire de l’eau. Le juif susdit nous fournit aussi du pain frais, des amandes, des raisins et des gâteaux d’olives qui avaient un goût excellent. Le costume des habitants est singulier : ils portent habituellement un long vêtement blanc – le haïk– qu’ils enroulent de diverses manières autour du corps. Le juif susdit nous a donné des renseignements sur leur mariage, etc.
Le 12 janvier 1641, c’était pour les Maures leur fête de Pâques – l’aïd es-seghir qui marque la cessation du jeûne du Ramadan- qu’ils célèbrent avec une grande dévotion. Dans l’île on trouve une espèce rare de grands oies. Nous en avons acheté à la kasbah de fort belles et fort grasses, à deux stuivers pièce. Quant à l’approvisionnement d’eau, il comporte ici de grands dangers, à cause des brisants, au point que notre petite chaloupe et les gens qui la montaient pour apporter de l’eau à bord ont chaviré deux fois, le 15 et le 16 de ce mois. Nos gens se sont sauvés à grand’peine, non sans courir de grands périls. Pour chaque tonneau d’eau on devait payer au caïd de la kasbah la valeur environ d’un écu de Hollande.Il est aussi à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche.Le 23, nous avons fait tous nos préparatifs pour faire voile, avec l’aide de Dieu, vers Ste Croix, si le vent nous est favorable. Nous sommes sortis heureusement du port de Mogador par un vent est-nord-est et nous avons gagné la haute mer. »
Courant juillet et août 1688, des corsaires algériens, sous domination turque, avaient capturé des bâtiments français qui croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries et fait deux cent prisonniers. Bostangi et quatre autres corsaires turcs qui les avaient faites prisonniers étaient de retour en septembre sur la côte du Maroc. Bostangi alla se ravitailler à Agadir et ses compagnons se rendirent pour caréner à Mogador, où ils débarquèrent les 60 français. Les corsaires craignant une attaque de l’escadre française, se retranchèrent dans l’île de Mogador, où ils construisirent des redoutes armées de canons, attendant un vent favorable pour franchir le détroit. En attendant ils ont relaché à Mogador soixante français, d’où ils les ont envoyé à Alger par voie de terre. A leur passage à Meknés, Moulay Ismaïl a racheté de force ces soixante hommes, comme le relate Pierre Catalan à tavers la note qu’il avait envoyée à Seignelay, depuis Cadix, le 8 novembre 1688 :
« Une tartanne française qui sortait de Safi en Barbarie le 28 du mois d’octobre est arrivée en cette baie le 4 de novembre. Le patron d’icelle a rapporté qu’il y avait quatre navires d’Alger à Mogador, deux de 40 pièces, un de 36 et l’autre de 24, avec une caravelle de 18 pièces ; que ces corsaires ont pris 13 bâtiments français sur le grand banc de Terre Neuve, qui sont de La Rochelle, Bordeaux, Havre-de-Grâce, Honfleur et un de Saint-Malo, et que sur la hauteur des Açores ont coulé à fonds un navire de Marseille, duquel les corsaires sauvèrent seulement dix hommes, qu’ils ont pris aussi à l’ambouchure de la Manche un navire de Dunkerque chargé de sucre, qu’ils ont amené et vendu à Mogador ; que de tous ces navires pris ; ils ont 200 hommes esclaves à leur bord. Desquels débarquèrent 60 hommes pour les envoyer par terre à Alger, leur faisant traîner deux charettes pour porter leurs vivres, qui, passant à Miquenès(Meknés), le roy du Maroc leur prit d’autorité ces 60 hommes esclaves, leur payant 45 écus pour chacun, et il fit une rude reprimande aux soldats d’Alger qui les conduisaient, de traiter si inhumainement les chrétiens. Ce patron m’a délivré le rosle inclus des noms de ces 60 hommes. Les 140 restants, les ont retenu à bord de leurs navires, dont ce patron a dit encore qu’ils croisent depuis la Mamora jusqu’aux Canaries. »
La prise de Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir (Agadir), enlevée aux Portugais, le 12 mars 1541, par le chérif Mohamed ech-Cheikh, affermit l’autorité de la dynastie saâdienne. Tout le Maroc du Sud fut la contrée par excellence de la domination saâdienne, et la ville de Marrakech fut presque exclusivement leur capitale. C’est à Santa-Cruz, le port du Souss, c’est à Safi, le port de Marrakech, que les trafiquants anglais débarquent le plus souvent. Ce choix s’explique en outre, pour les trafiquants, par l’importance des opérations sur le sucre, car la culture de la canne ne dépassait guère au Nord le cours de l’oued Tensift. Au bord de l’oued Ksob, les Saâdiens avaient établi une ancienne Essaouira , « Souira Qdima », autour d’un pressoir de canne à sucre. Cette sucrerie qui a fonctionné régulièrement de 1576 à 1603, aurait élaboré du sucre roux (sukkar ahmar), qu’Ahmed El Mansour Dahbi expédiait en Italie en contre partie du marbre de Toscane, comme nous l’apprend « Nozhat el Hadi » d’El Ouafrani : « Le marbre apporté d’Italie était payé en sucre, poids pour poids. »
La sucrerie saâdienne de l'oued ksob
On remontant en amont de l'oued ksob, on voit bien qu'à Essaouira se rencontrent l'olivier Méditérranéen et le palmier - dattier saharien: ce que souligne d'ailleurs l'histoire de cet antique mouillage où se rencontraient caravannes de Tombouctou et caravelles de la lointaine Europe..
A l'embouchoure de l'oued ksob, les Saâdiens ont édifié leur "fort de poudre"( Borj et Baroud), sur les ruines du sémaphore Phéniciens établi là pour orienter les bateaux ronds de l'antiquité qui jetaient l'ancre à ce mouillage d'Amogdoul (mot qui dérive de « Migdol » qui signifie « petite rempart » en phénicien, mais aussi en hébreux et en arabe avec le toponyme de « Souira »), par les flammes qu'on y attisait par nuit sombre au fond de la baie.
Au XVI èmesiècle, avant la découverte des Amériques, au Maroc, les Saâdiens avaient le monopole du sucre en Méditerranée Occidentale. Et c'est essentiellement pour acquérir ce produit précieux et rare à l'époque que les Européens mouillaient en rade de Mogador et au large de Santa - Cruz (Agadir) : ces deux port étaient le débouché naturel des sucreries Saâdiennes situées dans l'hinterland en amont de l'oued ksob de l'oued Sous et de Chichaoua. Au Maroc le sucre est lié au cérémonial du thé :
- Viens que je te prépare le thé !
- Laisse-moi, je ne veux pas de thé.
- Viens ! L’eau est bouillante et les amandes sont grillées.
- Laisses-moi, je ne veux pas de thé !
- Combien de reproches nous avons supporté pour toi ?
- Viens que je te prépare le thé ; je suis l’aigle qui fond sur le rocher !
(Chant du Raïs Aïsar des Haha)
On découvre les ruines de la sucrerie, près de Larbaâ des Ida Ou Gourd, au milieu des arganeraies où des dromadaires – qui semblent attendre depuis une eternité de nouvelles charges de sucre – broutent la cîme rutilante des arbres : l’arganier s’est substitué à la canne à sucre. Nulle route ne mène plus à cette ancienne fabrique saâdienne ; la voie du sucre est devenue terrain de labour et la forêt enserre les vieilles murailles en pisé.
On voit encore l’emplacement de la chute d’eau et les traces de frottement laissées par la roue hydraulique. Sur de grandes distances, de splendides aqueducs (Targa) en pisé – actuellement desséchés – acheminaientt l’eau depuis la source chaude d’Irghane jusqu’à la sucrerie. L’eau qui faisait tourner la roue hydraulique était ensuite amené à grand frais vers « l’Oulja » du bas et distribuée aux planteurs suivant la règle des tours d’eau.
Le broyeur principal se trouvait dans l’axe même de la roue hydraulique. Les deux broyeurs secondaires occupaient une position latérale. A la base de chaque broyeur prenaient naissance un canal d’écoulemnt destiné à recueillir les produits de trituration et à les acheminer vers la citerne en vue de la cuisson. On dénombre six fours à sucre qui servaient à la fabrication des moules en terre cuite d’une contenance de cinq kilos. Les débris de ces moules à sucre jonchent encore l’emplacement des anciens fours.
La culture de la canne à sucre autour d’un système hydraulique complexe et étendu avait réclamé l’utilisation d’esclaves, mains d’œuvre peu coûteuse : aux environs de la fabrique, il existe un cimetière d’esclaves (Roudat Laâbid) plusieurs hameaux d’Isemganes(« Les Noirs » en berbère) et on peut encore rencontrer les descendants des potiers noirs qui fabriquaient les moules à sucre en terre cuite.
Le souvenir de cette fabrique de sucre se perpétue encore de nos jours chez les riverains de « l’oued ksob » (la rivière de canne) sous la forme d’un mythe :
« Parceque les abeilles vivaient de la fleur de canne à sucre, le Sultan Ahmed El Mansour Dahbi (le Victorieux et le Doré) ordonna la destruction de toutes les ruches de la région. Les soldats ont tout détruit, mais quelques essaims restèrent au milieu des plantations. L’emissaire du Sultan poursuivit à cheval une abeille jusqu’à une ruche cachée dans le silo de Sidi Brahim Ou Aïssa. Lorsque les soldats brulèrent cette dernière ruche, le saint se mit en prière dans les broussailles. Une vipère vint alors s’enrouler autour du cou du fils du Sultan doré qui fit appel aux Gnaoua, aux Aïssaoua et autres gens de transe, en vain. Terrorisé, le Sultan alla trouver Sidi Brahim Ou Aïssa et le supplia de sauver son fils. Le saint y consentit, à condition que le Sultan renonçât aux plantations de cannes et quittât le pays. »
Ce mythe met en évidence la contradiction entre Ahmed El Mansour Dahbi qui avait une option économique à caractère spéculatif – la production du sucre – et la production du miel qui constituait la nourriture ordinaire des gens du pays.Les Saâdiens avaient établi de nombreuses autres sucreries au Maroc, notamment à Chichaoua dans le Haouz de Marrakech, et le grand Sous. Des esclaves ramenés du Soudan y travaillaient, utilisés en particulier par les Saâdiens pour la construction à Marrakech du Palais El Badî.
Depuis la prise de Santa-Cruz-du Cap de Guir (1541), les esclaves chrétiens avaient introduit dans le Sous et le provinces méridionales du Maroc(Haha, Chiadma), les procédés de raffinage. Les chérifs saâdiens possédaient de nombreuses sucreries qu’ils affermaient aux juifs.
La rénovation de l’industrie sucrière dans le Sous commence après la prise d’Agadir (1541), lorsque El Ghozzi Moussa - juif convertit à l’Islam - dresse des moulins à sucre à Tiout (vingt kilomètre au sud - est de Taroudant) avec l’aide de captifs faits par le cherif d’Agadir. Dés lors les marchands accourent de toute part, de Fès, de Marrakech, et du pays des nègres parce que le sucre de Sous est particulièrement fin (Marmol, II, 30). Selon une relation de James Thoma, datée des mois de mai / octobre 1552, les trafiquants anglais embarquaient du sucre depuis Agadir :
« Départ des trois navires commandés par Thomas Windham au mois de mai 1552. Arrivée à Safi après quinze jours de traversée, ils débarquent une partie de leur marchandise à destination de Marrakech. Ils se rendent ensuite à Santa-Cruz-du-Cap-de-Guir pour y décharger le reste : toiles, draps, corail, ambre, jais etc. Un navire français redoutant de leur part des hostilités, va se mettre sous la protection de la place, qui tire sur eux un coup de canon. Les Anglais ayant déclaré qu’ils sont déjà venus l’année précédante et qu’ils se présentent en trafiquants, avec l’agrément du chérif, on les laisse débarquer leur marchandise ; ils reçoivent la visite du caïd. Ils repartent après un séjour de près de trois mois, ayant embarqué du sucre, des dattes, des amandes, des melasses et du sirop de sucre. Leur nouveau commerce avec le Maroc mécontante les Portugais. Arrivée à Londre à la fin d’octobre 1552. »
Le fameux palais saâdien "El Badiâ"(le merveilleux) où le marbre de Toscane a été importé d'Italie à Marrakech en contre partie du sucre "poids pour poids" nous dit el ifrâni dans sa "nouzhat el hadi"
Le sucre sous ses différentes formes (pannelles, mélasse, moscouades) était vers 1574-1576, et depuis les relations commerciales entre l’Angleterre et le Maroc, le principal produit importé de ce dernier pays. Les plantations de canne, les pressoirs, les raffineries (ingenewes, maseraws) étaient si nombreux sous Moulay Mohamed ech-Cheikh que le sucre se vendait à vil prix au Maroc(El Ouafrâni p.226). Les prix se relevèrent par suite des taxes mises sur les pressoirs (ibidem p.302). Mais le renchérissement du sucre sous Moulay Ahmed el-Mansour eut encore pour cause les spéculations du chérif et des juifs qui affermaient les sucreries. Ceux-ci profitaient de la concurrence que se faisaient les marchands anglais. On sait que les Maures avaient introduit en Espagne la culture de la canne à sucre et qu’il existait de nombreuses raffineries sur toute la côte, de Malaga à Valence. Les amandes furent, comme le sucre, l’un des produits le plus anciennement importé du Maroc en Angleterre»
Le 6 juillet 1577, un édit de Moulay Abd-el-Malek est promulgué à Marrakech en faveur des marchands anglais. Edmund Hogan ayant exposé à Moulay Abd-el-Malek les plaintes des marchands anglais contre les juifs qui ont affermé ces sucreries, le chérif ordonna que lesdits marchands, jouiront des mêmes libertés de trafic qu’autrefois, que les trois qualités de sucre leur seront rendues au prix des années passées, pesées avec le poid de la dîme royale de Marrakech.Un mois plus tard le 7 juillet 1577, Moulay Abd-el- Malek promulgue un nouveau édit en faveur des marchands anglais. Les marchands anglais s’étant plaints d’avoir été lésés dans les marchés passés au Maroc pour les achats de sucre, le chérif ordonne aux juifs et autres personnes avec qui ces marchés ont été passés, de livrer dans le délai de trois ans ces commandes de sucre, à défaut de quoi, ils restitueront l’argent.
« Otland, 2 septembre 1577, dans sa lettre la reine Elisabeth remercie Moulay Abd-el-Malek du bon accueil qu’il a fait à Hogan et des mesures qu’il a prises en faveur des marchands anglais. Grâce à ces mesures, le commerce du sucre est libéré de toute entrave et le remboursement des sommes dues par les juifs fermiers des sucreries royales est assuré aux dits marchands dans un délai de trois ans. »
A chaque crue l'oued ksob grinotte sur ses rivages en emportant de la terre arables qui en se jetant dans l'océan donne ce rouge brique si caractéristique de la rade d'Essaouira chaque hiver Les sucreries, qui étaient la base du commerce au Maroc une grosse source de revenu pour le roi, ont été détruites à la mort de Mouay Ahmed el Mansour en 1603. Une relation d’époque nous le confirme :
« On trouve au Maroc en abondance de l’or, du cuivre d’excellente qualité, du sucre, des dattes, de la gomme arabique, de l’ambre, de la cire, des peaux et des chevaux. Les articles étrangers qu’on y cherche le plus sont l’étain, les lames de sabre, les piques, les rames, le fer, le gros drap. La poudre d’or est importée du Soudan ; elle arrive en grande quantité après la conquête de ce pays par Moulay Ahmed el Mansour en 1591.La culture de la canne à sucre fut extrêmement florissante au Maroc, notamment dans la région du Sous, jusqu’à la mort de Moulay Ahmed el Mansour en 1603, après laquelle les guerres civiles qui éclatèrent entre ses fils ruinèrent les plantations. » Effectivement à la mort de ce sultan saâdien, toutes les sucreries furent détruites probablement à la suite de révoltes d’esclaves.
En amont d'IGROUNZAR, à environ 60 kilomètres au sud d'Essaouira, on découvre, Ajegderj, un îlot de trois hameaux originaire du Dra, au milieu des Aït Adil (ceux de la vigne), antique tribu du pays Haha.
Ce que nous avons pris l'habitude d'appeler "l'oued Ksob", les géographes lui donnent le nom d'IGROUNZAR (toponyme berbère qui signifie "la source de la pluie"). Il prend sa source sur les hauteurs du plateau de Bouabout, en plein pays Mtougga avant de dévaler vers la mer, en traversant les multiples cuvettes au fond rocailleux du pays Haha, pour finir par se jeter à l'océan au sud de la baie d'Essaouira. Chaque trançon du fleuve porte le nom du lieu qu'il traverse pour finir par porter le nom de l'oued Ksob du fait que les saâdiens y avaient planté jadis de la canne à sucre.Tout le long d'Igrounzar, on découvre tout un chapelet d'oasis : là où il y a des sources l'habitant a établi tout un système d'irrigation pour les primeurs et les maraîchages: étant loin de toute route, les habitants en tendance à développer une culture d'autosubsistance. Si le lit de l'oued se déseche rapidement après les innondations d'hiver; le chapelet d'oasis quile borde ne manque jamais d'eau: c'est que sous le lit de surface, coule une rivière souterraine qui remonte de temps en temps à l'air libre sous forme de sources.
Si ces anciens ksouriens du Dra, établis dans ces rivages depuis le temps du commerce caravanier au milieu du 19ème siècle, on adopté le dialecte dominant qu'est le tachelhit, ils ont par contre conserver leur allégeance confrérique et le mode de vie de leurs ancêtres de Tamgrout: élevage de camelins, culture de palmier-dattier, filiation à l'ordre confrérique de la Naçiriya, dont la zaouia - mère se trouve à Tamgrout au coeur du Dra.Leur habitat dénote d'ailleurs avec son environnement berbère par l'utilisation de l'ocre saharien... De même la coupole de leur sanctuaire a des allures saharienne:s elle a d'ailleurs pour charpente des branches de palmier.
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Un château en Afriue
QUATRIEME PARTIE
LE "QUARTIER DU ROY"
Une ville née de la volanté du Prince
La ville n'a pas émergé lentement des méandres du Moyen Âge: elle est née de la volanté du prince.On appelait alors Marrakech "Maroc" , et Essaouira devait être son avant port sur l'océan.Dans un article désormais fameux sur la vie urbaine dans le Maghreb précolonial Stambouli et Zghal, développent l’idée, que par ses principaux traits urbains Mogador s’apparente au mode de production asiatique, où, la ville apparaît comme la projection dans l’espace d’un projet royal. Elle est construite selon un plan tracé au cordeau et prévoyant un ensemble de quartiers nettement délimités. La ville Chinoise – du moins jusqu’à la dynastie des Song (12ème siècle) où le modèle est encore parfait – apparaît davantage comme un centre de transactions commerciales contrôlées par le prince et à son bénéfice, plutôt qu’un foyer de création de richesses et un centre de mise en valeur de la région. Or constatent nos deux auteurs « tous ces traits qui définissent la ville asiatique se retrouent d’une manière quasi parfaite dans une seule ville maghrébine précoloniale : Mogador ». Pour étayer leur thèse les deux auteurs évoquant les quatre traits distinctifs suivants :
1. Mogador est la concrétisation d’un projet royal, une ville créée de toute pièce selon un plan géométrique en damier et à quartiers bien délimités.
2. Le Sultan par l’intermédiaire de sa bureaucratie contrôle la totalité des activités urbaines.
3. Le commerce qui constitue l’activité principale de Mogador, est monopolisé par le Sultan qui importe des populations, dont les étrangers (juifs et chrétiens) pour assurer le succès de cette activité. Tous les locaux sont la propriété du Sultan, qui les loue à son tour aux commerçants.
4. Enfin Mogador apparaît comme un centre de transactions par excellence et non comme un foyer de création de richesses économiques.
Et nos deux auteurs de conclure :
« Mogador apparaît comme un type urbain exceptionnel, non représentatif de la société urbaine maghrébine. D’ailleurs l’echec rapide de cette expérience souligne bien les limites d’un tel type ».
De port international autrefois, aujourd’hui Essaouira n’est plus qu’un petit port de pêche où les marins cousent des filets aux multiples couleurs, tandis que les goélands tissent le ciel avec la mer.
Sidi Mohamed Ben Abdellah (1757-1790) commença par bâtir un mur sur les rochers au bord de l’eau. Il fit inscrire la bénédiction du Prophète en lettres coufiques sur la pierre de taille arrachée aux flancs de cette île qui n’est rattachée au continent que par une lagune.
Le Sultan pensait ainsi disposer d’un port bien défendu mais accessible toute l’année à ses navires, alors que les ports du nord étaient pratiquement inabordables en dehors de la saison des pluies à cause de leur ensablement. Dans une dépêche datée du 26 octobre 1766, Louis Chénier notait :
« Les deux frégates du Roi du Maroc, Monseigneur, qui conduisirent en août dernier la prise hollandaise à Mogador, y sont encore. Elles sont observées par une frégate des Etats généraux, qui croisent à hauteur de ce port, et l’on suppose que ces deux frégates prendront le parti de désarmer et d’hiverner dans cette place. Mais cela me paraît hasardeux , attendu que le port de Mogador, formé par une île qui est à petite distance de la terre et à l’Ouest , n’est pas sûre en hiver, quand le vent règne dans la partie Sud et Sud-Ouest, et les navires un peu gros y sont en risque."
La plage de Mogador, le 27 mai 1914
Les navires danois, anglais, espagnols, hollandais arrivaient avec des chargements de bois et les agrès nécessaires pour construire et armer les galiotes. Ainsi, en 1766 arriva, selon Höst, un vaisseau suédois avec soixante mille piastres, cinq cent tonneaux de poudre, quinze canons, soixante-cinq mâts, une grande quantité de rames, perches etc.
Le Sultan fonda un chantier naval en même temps que le port, et en 1768, sa flotte était composée de douze bateaux de tailles différentes, armés de deux cent quarante et un canons.
Le 15 décembre 1769, Louis Chénier, consul de France, souligne : « L’Empereur est arrivé à Mogador au commencement du mois passé. Il a vu avec toute la tendresse d’un auteur la ville dont il a posé lui-même les fondements. Il a fait établir une batterie respectable à l’entrée du port, et fait réparer tant bien que mal quelques fortifications, que le temps avait déjà dégradées. Sa Majesté doit partir à la fin de ce mois pour retourner à Maroc. » En cette même année 1769, il eut la chance de récupérer Mazagan que les portugais évacuèrent.
Vue de la ville d'après Heine(1809) avec les pavillons des consulats
Dés son avènement , Sidi Mohamed Ben Abdellah a compris que le développement du commerce pouvait devenir la source d'un revenu important et régulier, alors que les produits de la course ne pouvaient être qu'aléatoires tout en exigeant de continuelles dépenses. Il décida donc de faire d'Essaouira l'avant-port de sa capitale Marrakech. Ce serait un noeud privillégié des grandes voies maritimes , au débouché des grandes plaines céréalières , sur la route des caravanes et du grand commerce international. Essaouira n'a pas émergée lentement au cours des siècles comme les villes du Moyen Âge : c'est la volanté du prince de créer un lieu marchand qui créa les marchands.
Le plan établi par Cornut en 1767 avec le port et l'ancienne kasbah
Théodor Cornut, l’architecte français que Sidi Mohamed Ben Abdellah chargea d'établir le plan de l’actuelle Mogador, décrit le château sous les lettres :
« O Porte d’entrée.
« P Cour,
« Ancien château construit par les Portugais, qui est très peu de chose et qu’ils ont abondonné depuis 400 ans. L’épaisseur de ses murs n’ont que six pans dans ses quatre faces. Les Mores y ont fait depuis cinq ans un parrapet sur la platte forme, dont la bâtisse tombe d’elle-même et sur la face du côté ouest-nord, il a quatre pièces de canon de 12.
« Q Magasins très faibles, mauvaises voûtes, mauvais murs de 2 pieds d’épaisseur, où il y a dix mille barrils de poudre anglaise qu’ils ne sont point en sûreté. »
Plan de Mogador déssiné par Théodor Cornut en date du 25 octobre 1767
L'ancienne kasbah, seule partie de la ville construite par Cornut
Plan de la ville d'Essaouira d'après Höst 1765
En 1767 rapporte Höst, arrivait à Marrakech un ingénieur français d’Avignon nommé Nicolas Théodore Cornut, ancien déssinateur des places fortes du Roussillon, passé à la solde des Anglais, que le sultan recruta à Gibraltar. C’est lui qui dressa le plan de la ville forte. De là ces fortifications à la Vauban, style XVIIIè siècle, qui furent armées avec des canons achetés en 1780 à la fonderie espagnole de Barcelone ou provenant de prises de mer.Les îles permettaient d’installer des batteries de canons à feux croisés : le « bation de surveillance » (borj el âssa), sur l’île faisait face au « bastion de la poudre » (borj el baroud) à l’embouchure de l’oued Ksob et protégeait ainsi l’entrée sud de la baie. De même le « bastion de Moulay Bennacer », toujours sur l’île, faisait face au « bastion circulaire » (borj el barmil) dans le port, défendant l’accès nord de la baie.De là aussi, ces rues droites et rectilignes qui ont, selon l’architecte Alain Courapied, une fonction militaire : « Deux axes traversent la ville et permettent ainsi de déplacer rapidement des forces militaires, ce qui est fort peu possible dans les tissus épais des villes marocaines telles que Marrakech ou Fès. »
Vue d'ensemble d'Essaouira avant les développements urbains de l'indépendance
On le voit clairement; la ville était construite sur une île qui s'est vue reliée il y a quelques siècles au littoral par les alluvionnements de l'oued ksob. Cornut établit le plan en 1769 en suivant les contours de l'îlot rocheux, sur lequel la ville est construite et dont elle conserve la forme. On le voit ici clairement : l'artère principale sépare la ville en deux moitiés. Elle avait une fonction rituelle de séparation entre les deux clans: à l'ouest le clan des Béni Antar qui étaient des corsaires avant la fondation de la ville et qui sont une tribu originaire du nord de Fès (d'où la ruelle des Jbala où je suis né). Ce clan comprend le quartier des Alouj où résident les convertis à l'Islam ayant participé à la construction de la ville et à la défense de ses fortifications. Il comprend également les tanneurs, les barcassiers et les marquéteurs. A l'Est de cette artère principale, le clan des Chébanates qui étaient une tribu Makhzen ayant contribué à pacifier le bled Siba à l'avènement de Sidi Mohamed Ben Abdellah. Il comprend; les Boukhara (garnison abid de Moulay Ismaïl ), les Ahl Agadir(Berbères en provenance de Sous qui constitue l'ethnie la plus dynamique sur le plan commercial). Le quartier des Rahala était habité par les nomades. Ce clan comprend également les travailleurs manuels, ainsi que les marchands de produits agricoles en provenance des tribus environnantes
La kasbah - ce "quartier du Roy", comme l'appelait Cornut - est le plus vieux quartier de la ville.C'était le lieu où résidait "le Makhzen" (l'administration royale), les vices consuls des pays européens et les "Toujar Sultan "(les négociants du roi). Comme partout ailleurs au Maroc, on a d'abord commencé par loger le Makhzen , les consuls et les négociants dans un quartier fortifié appelé "kasbah". Ce n'est qu'ensuite que la médina fut construite. Alors que dans les autres médinas, les gens s’établissent d’abord, puis les habitations sont entourées de remparts, à Essaouira, c’est le processus inverse qui s’est produit. On a commencé par la géométrie, et la démographie a dû se couler dans l’espace inscrit par un plan directeur. C’est la Kasbah qui avait induit la médina :les consuls, les négociants et l’administration avaient besoin d’artisans pour bâtir, de paysans pour les nourrir et de soldats pour les protéger. Au XVIII ème siècle, en dehors de la Kasbah, les gens habitaient sous des tentes et dans les casemates qui donnaient à Essaouira un visage militaire, à côté du quartier administratif.
Mogador - Porte de la Marine - Cliché Garaud
Les douanes étaient perçues par les oumana nommés par le makhzen, qui résidait dans la kasbah. C’est la Kasbah qui contrôlait le port. C’est ce que symbolise la porte de la marine : le port est un passage entre la terre et la mer. Cette porte qui a l’air d’un décor avait une efficacité symbolique, parcequ’elle représente le pouvoir s’interposant entre la terre et la mer, prélevant des droits de passage en ce lieu de transit.
On remarque trois croissants sur la clé de voute de la porte de la marine pour signifier qu'elle a été achevé le jour de la troisième fête du calendrier lunaire.Sur les clés des portes individuelles d’Essaouira on voit les mêmes signes et symboles qui se trouvaient déjà sur les portes monumentales de la ville, particulièrement la porte de la marine avec ses coquilles Saint-Jacques et ses croissants :un croissant symbolise la première fête du calendrier lunaire ; deux croissants la deuxième fête du calendrier lunaire. Trois croissants : la troisième fête du calendrier lunaire. Une manière de signaler que l’édification de la maison a coïncidé avec un mois ou une fête sacrée.Ce fut, semble –t-il, un renégat anglais, désigné dans les chroniques de l’époque sous le nom de Ahmed al-inglisi, qui continua l’œuvre de Cornut.
1184 hégire (1770 J.C.)
Par la grâce de Dieu, cette porte du port a été édifiée par la gloire des Rois, Sidi Mohamed par son serviteur Ahmed El Eulj
Sur la porte de la marine est inscrit en effet le nom d’Ahmed al-Eulj. Il semble qu’on puisse lui attribuer toutes les fortifications du port et la scala qui ne figurent pas sur le plan de 1767. Mais ce plan montre assez clairement que Cornut avait déjà fixé le périmètre et les dispositions générales du quartier sud.
Sea Gate, Mogador
Dans le temps, à un moment où il n’y avait pas d’hôtels pour héberger les étrangers, chaque chef de foyer disposait de deux maisons mitoyennes : l’une pour la famille et l’autre, la douiria(maisonet), pour les célibataires, et les hôtes d’Allah de passage dans la ville. La Douiria,jouxtait la maison familiale proprement dite. Il existe encore de nombreuses maisons témoins de cette époque : généralement l’entrée de la Douiria et celle de la maison familiale ont une décoration en pierre de taille si semblables qu’elles donnent l’impression d’être des portes jumelles. Dans la vieille médina existait aussi (derb laâzara), le quartier réservé uniquement aux célibataires...
"Dar el Makhzen"(aux tuiles vertes) était située dans l'actuelle place My Hassan isolée de la kasbah et du port par des trançons de rempart qu'on a démoli au tout début du protectorat(1912-1913)
Comme dans les capitales impériales, le gouvernement ne se mêlait pas à la population : il vivait à part dans un "Dar el Makhzen", qui forme le centre de la kasbah. Cet espace jadis clos - une porte donnait sur la kasbah et une autre s'ouvrait sur le port - comprenait "Dar Laâchar"(à l'emplacement actuel du café du même nom), où étaient stockées les prèlèvements qu'effectuait le makhzen sur les marchandises qui transitaient par le port et qui s'élèvaient au 1/10ème (le "âchar" d'où le nom de "Dar Laâchar" que portait le magasin du Makhzen).After Prayer
Le pouvoir se manifestait avec force,lors de la prière du vendredi...
Les "Toujar sultan" au seuil de "Dar el Mkhzen"
Lorsque je m'attelais à la rédaction du "Temps d'une ville", Haïm Zafrani m'écrit à la fin des années 1980 : "Essaouira a participé en dépit de sa récente histoire au grand destin du judaïsme marocain, et de l'Empire chérifien, par le rôle qu'elle a joué dans l'ouverture du pays tout entier au monde extérieur, américain et européen, atlantique et méditerranéen, par ses "toujar-as-sultan" les négociants du Roi qui n'étaient pas que des marchands exportateurs et importateurs de denrées, des produits de la terre et de l'artisanat, car ils appartenaient à ce système d'homme sage, le lettré-homme d'affaire(le lettré-artisan aussi fait partie de cette catégorie), qui poursuit la double quête de la science et de la fortune."
Même rentrée de Dar Makhzen, démolie au début du Protectorat
A droite les trois arcades de l'ancien tribunal de la kasbah
Dans sa description du Makhzen Eugène Aubin écrivait depuis Fès en 1902:"L'idée d'héridité est au fond de toute l'administration Makhzen. Si les caïds des tribus ne sont pas héreditaires , ils sont cependant choisis, en règle générale , parmi les membres des deux ou trois familles les mieux placées dans la région. Dans l'armée, les gradés sont le plus souvent fils de gradés d'un rang égal; pour les services financiers, les fils d'oumana succèdent naturellement à leurs pères, et, comme secrétaire au Makhzen, on choisi de préference les fils d'anciens secrétaires, en négligeant, un peu la production annuelle des medersa..." Recensez les ministres et les hauts dignitaires marocains qui ont pour père et arrière grand père des ministres, et des hauts dirigeants du Makhzen et vous saisirez à quel point l'observation d'Aubin est juste même de nos jours....
Le vieux Makhzen du Maroc prè-colonial.
Il m'a fallu plusieurs jours d'observations répétées pour faire le rapprochement entre les trois photos précédantes : on remarque que la parade quitte la même porte disparue de "Dar el Makhzen" en défilant devant les mêmes trois arcades du tribunal pour se rendre à la mosquée de la kasbah où se déroulaient les prières officielles des jours de fêtes du calendrier lunaire ainsi que la prière et le prêche du vendredi: les directives gouvernementales étaient adressé à la population du haut de la chaire du serement du vendredi .J 'ai finalement associé cette troisième photo aux deux précédantes parce qu'il s'agit du même contexte urbain, politique et religieux...
Les troupes du nouveau sultan Moulay Hafid se préparent à marcher sur Casablanca
Moulay Hafid signant le traité du protectorat à Fès en 1912, en présence de Lyautey, d'après Roman Lazarev
Colonne de Duchayla : Entrée des troupes Françaises à Mogador
Démolition de la porte de "Dar el Makhzen" à l'avènement du Protectorat
Infirmerie - Ambulance et Place Duchayla - 1913
L'emplacement de Dar el Makhzen(l'Administration Royale) après sa démolition à l'avènement du Protectorat :comme si le nouveau pouvoir dégageait l'ancien, spatialement et symboliquement . C'est au coeur de cette ancienne kasbah que les français installèrent leur caserne en lui donnant le nom du navire de guerre ,"Duchayla" ,qui bombarda Casablanca en 1907 avant d'occuper Essaouira en 1913
La même place Duchayla vue dans le sens inverse: on venait à peine d'y planter les nymphéa, ces "caouatchou" au tronc en patte d'éléphant qui donnent leur charme aux places de café de France et de "Place de l'horloge"...Places aux déambulations Méditerranéennes..
Mogador-Caserne du Chayla
Le rempart qui reliait la kasbah à la porte de la marine
Campement derrière le même rempart reliant la kasbah au port:
au fond la porte de "dar Makhzen"
En 1844, Mogador avait une populaton de 14000 âmes. Elle était complètement entourée d’un mur d’enceinte haut de dx mètres et courroné de crénneaux dans toute sa longueur. Le système de fortfcatons dressés devant le quarter de la Marne comprenat un rempart en lignes brsées, qui se reliait à la kasbah et était flanqué, au N-O et au S-E, de tours et de batteries casematées.
L'emplacement du rempart qui reliait la kasbah à la porte de la Marine
Ce qui reste du rempart qui s'élevait à dix mètres de haut en 1844
. On y ressent une forte influence de Vauban dans la façon de protéger la ville des assauts de la mer. Murs maçonnés sans enduit. Le chemin de ronde est large. Porte à fronton et à colonne cannelée. Tour de guet (échauguette) à angle proéminent. Créneaux biseautés. Ces fortifications n’ont pas pu résister au bombardement de 1844, qui força les citadins à déserter la ville.
On voit bien que cette ancien rempart reliait la kasbah à la porte de la marine
L'ancien rempart est souvent débordé par les vagues le jour de tempête
Juste au dessus de ce muret qui isole le bassin où une grue mettait à l'eau les barcasses dans ce qu'on appelait "Al-Masa-Sghira"(le petit port),la lucarne que nous appelions "Taqwira", était munie d'un tremplin du haut duquel les plus sportifs mais aussi les plus hasardeux effectuaient des sauts périlleux au risque de se heurter au fond rocheux pas si profond qu'il n'y parait...
Les plongées s'effectuaient au petit bassin à barcasses à une hauteur où nous avions dans ces folles années 1950-1960 ,une vue imprenable sur la ville avec ses habitations éclaboussées de lumières, comme une trainée de poudre de sel immaculé, entre l'ocre des remparts et le bleu limpide des cieux...
Mogador - Vue des consulats - Clichet Garaud
Un document co-signé par l'Autriche,l'Espagne,la France,l'Angleterre,le Danemark,l'Italie,la Hollande et les Etats-Unis, atteste d'une réunion des consuls de toutes ces Puissances en vue de l'assainissement du port, où étaient établies la plupart des maisons de commerce européennes, comme l'écrit Louis Chenier en 1777 : " Mogador, qui n'est habitée que depuis environ dix ans, a été fondée par l'Empereur régnant qui a engagé les négociants européens, les maures et les juifs, à y établir des maisons avec l'assurance d'en être dédommagés par quelques grâces.C'est de toutes les places de la côte, celle qui est bâtie avec le plus de régularité, dont on a tiré quelques avantages, et elle contient plus de négociants que les autres places ensemble.".En 1787, le corps de commerce étranger à Essaouira prévoit l'organisation d'une sorte de cervice postal : le courrier du commerce
Dans la kasbah vivaient les consuls, non seulement ceux de toutes les nations européennes , mais également celui des Etats Unis.Le sultan avait ordonné à tous, sans exception, de passer à Essaouira et d'y bâtir une maison, comme le souligne Höst dans son journal de 1765 : " Après que Sidi Mohamed Ben Abdellah se fut rendu lui-même à Souira et eût distribué les terrains à bâtir , il ordonna à tous les consuls d'aller là-bas eux aussi et d'y faire construire à leur compte, une maison importante et convenable; tous les ambassadeurs devaient arriver là, tous les pirates devaient amener leurs prises dans la même Souira et un chantier naval devait y être fondé."
La position géographique de Mogador faisait d’elle un lieu envié au carrefour des routes marchandes, terrestres et maritimes. Dés sa fondation, elle fut menacée par l’Espagne comme le rapporte Höst : « En 1765, après que le Sultan qui s’est rendu lui-même à Essaouira, eut distribué aux consuls les terrains à bâtir, un bateau espagnol se profila à l’horizon. Un navir de guerre espagnol armé de soixante-dix canons s’approcha, et comme Mohamed crut que les Espagnols avaient l’intention de déranger ses constructions, il expulsa le consul hollandais Demetri, l’accusant de connivance avec l’Espagne, en ajoutant qu’à l’avenir il ne voulait pas de Grec comme consul de Hollande, mais d’un Hollandais. Ensuite, il envoya au roi d’Espagne un cadeau composé de lions, tigres, chevaux, accompagné de trente esclaves espagnols, afin de lui mettre d’aimables pensées en tête, et lui laisser entendre que ce geste était un pas vers la paix. La suite montra d’ailleurs que ces agissements pleins de sagesse ne demeurèrent pas sans résultat. »
Au fond, la maison du Danemark, l'une des plus ancienne de la kasbah
Le 23 mai 1765, le consul danois Barisien écrit à Höst qui se trouvait à Marrakech : "A cet endroit il n'y a que des pierres, du sable et du vent".Au début du XIXè siècle , tout le monde vivait du commerce directement ou indirectement, comme le soulignait Jackson : " Rien ne peut pousser ici en quantité suffisante pour satisfaire les habitants.Toutes sortes de fruits et légumes sont donc apportés d'un jardin d'une distance de 92 milles.Les volailles sont aussi apportés de l'autre côté des dunes de sable où la campagne est cappable de produire tout ce qui est nécessaire pour la ville. La situation insulaire de Mogador et le manque d'eau fraîche qui est apporté d'une rivière d'une distance d'un mille et demi prive les habitants de toute ressource, sauf celle du commerce dont dépend tout le monde, directement ou indirectement."
La frontière nord de l'oum rbia était franchie par des caravanes chargées de marchandises à destination d'Essaouira. A son rôle maritime important, s'ajoutait son rôle de relais du Soudan. Le littoral que longaient les caravanes se prolongeait jusqu'à la porte de la marine et les navires restaient au large.Essaouira avait un rôle de transit entre l'Afrique et l'Europe, c'est pour cela qu'on l'a surnommait "le port de Tombouctou". Ici, les caravanes de Tombouctout prolongeaient les caravelles de la lointaine Europe, ici le vent alizé enflait de son souffle puissant les voiles des navires marchands et des bateaux corsaires.
Le négoce fournissait au Makhzen des ressources notables, et les puissance européennes appréciaient le Maroc non seulement pour ses richesses propres, mais encore sous le rapport du transit.Visitant Mogador à l’aube du 20èmesiècle, Eugène Aubin écrit le 2 novembre 1902 : « A l’heure actuelle la place de Mogador n’exporte plus que les peaux de chèvres venues de Marrakech et du Sous, les amandes du Sous et de Haha, les huiles et la cire, enfin la gomme du Sous(gomme arabique et sandaraque, utilisée en Europe dans les industries chimiques et pharmaceutiques ; gomme ammoniaque, expédiée en Egypte, Algérie, Tunisie, et employée pour l’épilage, selon les usages musulmans) ; les caravanes du Sous et de Marrakech aboutissent journellement au port…De puissantes maisons juives sont établies à Mogador. Comme elles importent surtout des bougies, des cotonnades et du thé, elles font la plupart de leurs affaires avec l’Angleterre, et quelques unes possèdent même des comptoirs à Manchester. » . Arrivée d'une caravane à souk haddada - Cliché Garaud :
Ici les caravanes de Tombouctou prolangeaient les caravelles de la lointaine Europe.
La rade d'Essaouira
Arrivée de la caravane de Tombouctou à Mogador
C’étaient les dernières caravanes qui reliaient Mogador à son arrière-pays et à Tombouctou, avant qu’Agadir au Sud et Casablanca au Nord ne supplantent la ville des Gnaoua en tant que principal port du Maroc. Avec la découverte de la machine à vapeur, l’Europe était désormais directement reliée par voix maritime au Sahara et à la boucle du Niger sans avoir à passer par l’ancien « port de Tombouctou », qu’était Mogador.
Marché au seuil de Bab Sbaâ
Au grand souk situé hors la ville aboutissent les caravanes de Marrakech et du Sous ; elles doivent y demeurer , sans franchir les portes , jusqu’à ce que leurs marchandises aient trouver acheteur ; chameaux et chameliers y campent sur le rivage dans la saleté et le désordre ; à côté d’eux sont étalées sur le sol les peaux de chèvres , amenées de l’intérieur dans la fiente et le sel, que les exportateurs font sécher avant leur embarquement.
Haddada, quartier des forgerons où aboutissaient les caravane en 1912
Les caravanes en provenance de Tombouctou et qui longeaient la côte pour rejoindre Agadir puis Essaouira passaient soit par Guelmim à l’oued Noun, fief de la famille Bayrouk, soit par la Maison d’Illigh à Tazerwalt, fief des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. D’ailleurs à la fin du XIXe siècle, Huçein Ou Hachemi de la Maison d’Illigh, comme le Cheïkh Bayrouk, disposaient d’une maison commerciale à la nouvelle kasbah d’Essaouira. C’était le négociant juif Afriat qui s’occupait des intérêts des Bayrouk au port de Mogador. Le cheykh Bayrouk de Goulimine disposait en effet d’un entrepôt où il déposait les marchandises en provenance de Tombouctou, et c’était le négociant Afriat, lui-même originaire de Goulimine qui s’occupait de ses affaires à Essaouira. Ces juifs de Goulimine avaient fini par aboutir dans cette ville saharienne, après leur expulsion d’Espagne, comme le prouvent les motifs des bijoux qu’ils produisaient et qui étaient à bien des égards similaires à ceux des orfèvres d’Andalousie. On se souvient encore aujourd’hui de la famille Bayrouk qui habitait au début du siècle au quartier des gens d’Agadir (quartier d’Essaouira qui porte ce nom parce que ses premiers habitants étaient originaires d’Agadir) : les hommes travaillaient au port, tandis que leur marraine, une mulâtresse, était célèbre voyante médiumnique (talaâ) qui officiait lors des nuits rituelles des Gnaoua.
Sur sa route vers Mogador Léopold Panet, le premier explorateur du Sahara, rencontre le cheïkh Bayrouk pendant son séjour à Noun, et assiste à une fête d’accueil d’une caravane en provenance de Tombouctou :
« Pendant mon séjour à Noun, j’y fut témoins d’une fête magnifique. C’était le 12 mai ; la veille, on savait qu’une grande caravane revenant de Tombouctou devait arriver le lendemain, parce qu’elle avait envoyé faire louer des tam-tams pour fêter sa rentrée. Dés sept heure du matin, les femmes des marchands arabes, qui composaient cette caravane, étaient parées de tout ce qu’elles avaient de beau en habis et en bijoux, et le tam-tam, dont le bruit assourdissant se répétait au loin, avait attiré autour d’elles une foule des deux sexes...Ceux au-devant de qui elles allaient, paraissaient à l’autre extrêmité de la plaine, laissant derrière eux leurs chameaux chargés et deux cent esclaves appartenant aux deux sexes. Le tam-tam résonna avec fracas, les drapeaux voltigèrent en l’air, les chevaux se cabrèrent de part et d’autre...La troupe forme deux haies qui reçoivent entre elles les chameaux chargés et les esclaves déguenillés, souvent nus. Les hommes continuent leur évolution guerrière avec le même enthousiasme, mais il y a moins de charme, moins de mélodie dans les chants naguère si harmonieux des femmes : elles ont tourné leur attention vers les esclaves et déjà chacune d’elles y a fait son choix. »
Les maîtres de ces lieux de rassemblement de convois caravaniers, disposaient dans leurs citadelles de nombreux esclaves issus du commerce transsaharien. Les Noirs qui vivent aujourd’hui autour de ces vestiges du passé y célèbrent encore leur fête annuelle.S’ils vénèrent tous Lalla Mimouna, et sont issus de la même origine l’ancien Soudan, le pays des Noirs des géographes arabes, qui correspond à la boucle du Niger , il n’en demeure pas moins que sur le plan culturel, chaque communauté ganga s’est adaptée à sa manière au contexte, dans lequel, elle fut intégrée.
Le souvenir de la traite des esclaves reste vivace chez leurs descendants marocains. Voici le témoignage d’un maréchal-ferrant noir, également grand connaisseur de l’amerg, chant poétique berbère :
" Les esclaves provenaient de la tribu Sharg du Sahara. Des marchands les amenaient de là-bas pour les vendre dans le Sous. Par la suite, leurs enfants étaient expédiés dans le pays Haha. On leur mettait la corde au cou pour les conduire sur la place où on les vendait comme des bêtes, en examinant leur denture pour distinguer le jeune du vieux. C’est ainsi que mon père fut offert au caïd des Ida ou Guilloul. En revanche chez les Neknafa, les esclaves noirs appartenaient à Israren, un caravanier qui échangeait les céréales de la région contre le thé, le sucre, et les esclaves de Sous. C’était le trabando (la contrebande). Cette traite des esclaves a cessé quand il a plu à Dieu de venir en aide aux Noirs. Une fois affranchis, comme ils ne possédaient pas de terres, ils ont dû devenir métayers pour subsister. Un jour, j’ai décidé de troquer le tambour contre le ribab et j’ai fait le tour des villages pour animer les fêtes de mariage. J’ai chanté l’amerg en tant que maître du ribaba pendant quatorze ans, mais quand mon père est mort, j’ai pris sa relève à la forge. »
Au temps où les caravanes afluaient vers Mogador
Avant de traverser le désert des déserts, les caravanes faisaient halte au pays des moulatamoun, ces hommes voilés du désert, pour y faire provision d’eau. Quand les vents chauds tarissaient l’eau dans les outres, les caravaniers pour apaiser leur soif recouraient au stratagème suivant : ils prenaient avec eux des chameaux sans charge et les assoiffaient pour les faire boire une première fois puis une deuxième fois, jusqu’à ce que leur panse soit pleine. Quand le besoin d’eau devenait impérieux, les chameliers égorgeaient le chameau et se désaltéraient avec l’eau de sa panse jusqu’au point d’eau suivant. C’est ainsi que, recrus de fatigue, les caravaniers avançaient dans leur voyage jusqu’au lieu de rencontre avec les propriétaires de l’or.
Le grand méchouar avant l'élevasion de l'horloge au début des années 1920
"Marocains apprenant l'arrivée d'un navire se dirigent vers le port"
Vue prise de la plage,au fond Essaouira
On imagine à peine maintenant les grandes distances que ces hommes pouvaient parcourir
Mogador - Sous la porte de la Marine
Dans les vieilles photos en noir et blanc, on voit le déchargement des paquebots au large par les barcasses. Jusqu’à la fin des années 1960 par beau temps chacune pouvait faire de 4 à 5 voyages, avec un rendement journalier, de 300 à 350 tonnes. Depuis les fenêtres grandes ouvertes de nos classes de l’alliance israilite, on pouvait entendre les sirènes de ces paquebots, comme autant d’appels nostalgiques, nous convions à l’évasion et à l’aventure. Le dernier des courtiers juifs de Mogador, fut le Sieur Hatouile, décédé vers 1989 : il était représentant de la compagnie Paquet et avait le monopole sur le savon de Marseille.
Mogador - Le port
" Quand la forte houle venait à les surprendre, me dit ma mère, les barcassiers se réfugiaient en haute mer. Loin des récifs côtiers où se fracassent les vagues. Ils restaient là, le temps que la tempête s’apaise. En attendant, la ville retenait son souffle."
Embarquement de marchandises: en arrière plan, "Borj el Barmil", l'ancien emplacement du Castello Real",avant la construction de la jetée du port au début des années 1920
Les barcasses employées à Mogador, étaient propriété du Makhzen. D’un type long et étroit, n’offrant pas beaucoup de résistance au vent, leur stabilité transversale, probablement assez faible, suffisait parcequ’elles n’avaient à circuler qu’en rade, assez abritées en somme. Ce petit type, qui portait de 8 à 10 tonnes, était plus facilement maniable dans les rochers qui fermaient l’entrée du port. Elles étaient limitées à 8, dont deux étaient toujours en réserve à terre, prêtes à fonctionner en cas de besoin. Voici les marchandises que transportaient ces barcasses en 1906 :
Caravanier dans les dunes et sur la plage
« On ramenait du Sahara l’ambre des baleines, du bois de santal, des boules d’or, des œufs de mhar ; parfois on ramenait, semblables à des perles, des œufs de lbia, des porcs-épics. On ramenait des autruches qu’on montait comme des chevaux de fantasia ; tu voyais certains mettre la selle sur le dos de l’autruche et la chevaucher ! (éclat de rire). Il y avait tout dans le Sahara ! Wahli ! (Ô les miens !) ce qu’on ramenait de là-bas ! Il y avait le lion, il y avait le tigre, il y avait l’hyène. On n’appelait pas le dromadaire méhari, on l’appelait « hab-rih » (souffle le vent). Pour parvenir à l’oued Draâ, les caravanes mettaient cinq jours pour les mulets, six jours pour les chameaux.
On partait d’Essaouira et on passait la première nuit à Ida Guilloul, la deuxième nzala (étape de caravane) était à Tamraght, de-là à Houara et Taroudant enfin à Goulimine. Un jour qu’on allait dans le Souss, on rencontra une vipère au milieu du chemin : elle soufflait la mort sur quiconque voulait passer. Vingt cinq fantassins déchargèrent leurs fusils sur elle. Elle se souleva jusqu’au ciel et tomba devant la porte du lion. En vérité, chez les Houara, dans le Souss, « l’année du rat » (l’année de la peste) tout était couvert de rats ; l’année de la sécheresse et de la famine faisait penser à l’histoire de Joseph, lorsque le Pharaon rêva que sept vaches maigres dévoraient sept vaches grasses et que sept épis grêles engloutissaient sept beaux épis. »
Mogador, Bab Sbaâ, nouvelle kasbah
Bab Doukkala
Un château en Afrique
« Il n’y a qu’un château que je connais où il fait bon d’être enfermé...
Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs
C’est Mogador en Afrique. »
Paul Claudel: Les souliers de satin
Mogador sur la plage, village de Diabet et le Dar Maghzen
A l'extérieur de la ville, on peut rejoindre , à l'embouchure de l'oued ksob, le palais ensablée - Dar Sultan- qui date de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle et où le sultan effectuait de fréquents séjours. Avant son ensablement et jusqu'en 1840, il comportait cinq pavillons.Il ne reste plus que les ruines d'un seul.De style andalous, il se distinguait par ses beaux plafonds en boieserie sculptée et peinte.
Central Kiosque of the Sultan's Palace - Mogador
Le palais était meublé à l'européenne , comme l'atteste une correspondance de Louis Chenier datée du 3 juin 1789: " A son audience de congé, l'ambassadeur de Hollande a présenté trois lingo d'or et s'est obligé , au nom des Etats généraux , d'envoyer à Sa Majesté les boiseries de toutes les pièces , portes, fenêtres, glaces, cheminées, et table en marbre, pour faire bâtir un palais à Mogador, à l'européenne.". Le sultan y recevait les négoçiants de toutes les nations. Au début du XIX è siècle, "Dar sultan" était devenue la résidence de Moulay Abderrahmane qui était gouverneur de la ville. Le palais sera vers 1820 affecté comme résidence aux ambassadeurs en mission. Ils servait également aux autorités locales et aux notables de la ville qui s'y rendaient en excursion. Avant son ensablement, il était entouré d'étangs et de toute un forêt de tamaris qui s'étendait sur plusieurs hectares.A ce propos un poète de la ville, ayant vécu au XIXè siècle écrit une qasida du genre malhun intitulée "Aylal et aylala"(goéland et mouette) où il est dit :
Ne fais aucune confiance au temps, Ô toi qui comprend !
Il fait d’une hutte un château
Et d’un palais une ruines ensablées dans la baie !
Visite Royale à Essaouira, par Roman Lazarev
Le sultan quittait chaque vendredi son palais , longeait à cheval la baie avec sa suite , pour venir prier à la mosquée de la kasbah..Bientôt rappelé ailleurs par d'autres soucis, les sultans quittent Essaouira et y laissent un gouverneur de leur Makhzen, auquel ils adressent leurs instructions par lettres chérifiennes.
« Au retour de Sijilmassa, le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah (Dieu lui fasse miséricorde !) Demeura à Marrakech jusqu’au printemps. Il résolut alors d’aller à Essaouira, pour se rendre compte de son état et voir ses constructions, car il aimait cette ville qu’il avait fondée et en était satisfait. Il voulait en profiter pour visiter les saints Regraga dans le Sahel et recueillir la bénédiction de leurs tombeaux. Il effectuait ce voyage pour son agrément, pour le repos de son esprit et pour sa distraction. Il emmena avec lui un certain nombre d’oulémas et d’imâms de l’époque, auxquels il devait dicter des extraits des haditsdu Prophète, et qui devaient les réunir selon ses indications.
Cérémonial d'affirmation symbolique du pouvoir durant la prière du vendredi
Ces personnages lui tenaient compagnie : ils rédigeaient pour lui et mettaient en ordre tous les extraits qu’ils tiraient des livres de hadits qu’il avait fait venir d’Orient, entre autre leMesned de l’imâm Ahmed , le Mesnedd’Aou Hanîfa. Il avait également avec lui un très grand nombre de secrétaires habiles dans la rédaction et la correspondance.
Le sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah
Il sortit de Marrakech pour cette excursion au printemps de l’année 1198 (1784). Au préalable, il fit dresser ses tentes autour de la ville, et les entoura du mur d’enceinte appeléAfrâg. Au centre de toutes ces tentes, était la grande qoubba que lui avait donné le despote des frendj . Elle était doublée de brocart ; les panneaux muraux, découpés en forme de mihrâb, étaient de velours fin de diverses couleurs, ses garnitures en galon d’or, et les cordes qui les tendaient, de soie pure. On prétend que le despote avait dépensé, pour le faire fabriquer, près de 25 000 dinars. La preuve en est que la pomme qui surmontait le poteau central, et qu’on appelle communément jâmour, était en or pur et pesait 4000 mitsqâls or. Le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) s’en servit à cette occasion pour s’en réjouir la vue.
Les qâids, les secrétaires et tous ceux qui partirent avec lui emportèrent leurs tentes les plus belles et les plus riches. Dans ce cortège merveilleux, il visita les contrées pittoresques et les beaux sites qui sont agréables à la vue, qu’on est impuissants à décrire, qui dilatent l’âme et tiennent compagnie.
Fraday Review of Troope at Mogador
Après une excursion de deux mois employés à parcourir ces plaines, à satisfaire tous les délices, à se promener dans ces contrées, et à chasser le gibier de plume et de poil, il arriva à Essaouira. Quand il eut examiné la ville et réaliser entièrement le but qu’il s’était proposé, il reprit la route de sa capitale.
Il passa par le ribât Châker, qui est une des mzâra les plus célèbres du Maghrib, et qui est, depuis les anciens temps, le rendez-vous des saints. Dans le Tachaouf, Châker, qui a donné son nom à ce ribât , est indiqué comme ayant été un compagnon d’ Oqba ben Nâfî El-fihri, conquérant du Maghrib, et c’est là que se trouve son tombeau. A son passage dans cette localité, lors de ce voyage, le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah ordonna de restaurer la mosquée et de faire des fondations et des murs nouveaux.
Arrivée du pacha à la mosquée pour la prière
En revenant, il remonte le cours de l’oued N’fis, jusqu’à la ville d’Aghmât. Sa mhalla était installée en dessous de la ville. Lorsque son campement fut établi, un certain nombre d’habitants du pays vinrent, avec leur qâdi, lui apporter un superbe bélier et des vases contenant des rayons de miel.
Le qâdi fut introduit auprès du sultan, qui se mit à parler avec lui, et lui demanda quels avaient été ses professeurs. Celui-ci lui fit des réponses extravagantes. Se tournant alors vers le hâjib (chambellan), le sultan lui dit :
- Conduis ce qâdi à la tente du qâid Abou Zeïd Abderrahmân Ben Elkâmel ; c’est lui qui s’en ira comme qâdi avec la mhalla au Soûs, s’il plait à Dieu ! Fais-le installer dans sa tente et remets-lui ce bélier et ce miel.
Le hâjib conduisit le qâdi à la tente du qâid de l’armée Abou Zaïd ben Elkâmel, emmenant en même temps le bélier et le miel. Il recommanda à ce dernier de bien traiter le qâdi pendant la nuit qu’il passerait chez lui.
Le lendemain, le sultan se mit en route pour regagner Marrakech. Arrivé à l’oued N’fiss vers le milieu de la journée, il fit dresser le pavillon de repos au bord de la rivière et convoqua le qâid Abou Zéïd et tous les secrétaires. Quand ils furent assis tous devant lui, il se mit à interroger le qâid pour plaisanter :
- Comment as-tu traité ton hôte pour le remercier de son bélier et de son miel ? lui dit-il.
Le qâid balbutia une réponse quelconque : il comprit que le sultan voulait le mettre dans l’embarras en lui posant une pareille question, bien qu’il n’eut cependant pas négligé son hôte d’une nuit. Le voyant embarrassé, le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui dit :
- Je crois que tu ne l’as pas traité comme il fallait. Si tu lui avais fait son éloge au moins pour son bélier et son miel, tu aurais réalisé ce qu’on attendait de toi, et ta responsabilité eût été dégagée, car je ne t’ai envoyé ce qâdi qu’à cause de ce bélier et ce miel. J’ai passé toute la nuit sans dormir, me rappelant ce qui s’était passé entre Elmansoûr Essaâdi et ses secrétaires, à propos d’un incident semblable. Je vois bien qu’aujourd’hui il n’y a plus de secrétaires, plus de fins lettrés ni de princes. Je vais vous faire entendre ce qu’il survint àElmansoûr lors de sa visite dans ce bourg d’Aghmât.
Il fit alors lire par son secrétaire le récit donné par Elfichtâli, dans les Manâhil Essafâ, du voyage que fit Elmansoûr Essaâdi à Aghmât pour y faire un pèlerinage et se distraire . Les poésies qui furent échangées entre le qâdi Abou Malek Abdelouâhed Elhamîdi et celui qui lui fit cadeau du bélier et du miel. L’auteur de Nozha cite les vers d’Elhamîdi. Quand le secrétaire eut fini de lire le récit contenu dans le livre d’Elfichtâli, le sultan leur reprocha l’insuffisance dont ils avaient fait preuve dans un incident semblable à celui dont il venait de leur être donné lecture. Je crois que le sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur ordonna de copier ce récit et de l’étudier, pour leur servir de leçon. Dieu sait quelle est la vérité ! »
Campement de chevaux à l'entrée du méchouar au sud de la ville
L’auteur de kitab al-Istiqça nous confirme que la madrasa de la kasbah figure parmi les œuvres que Sidi Mohamed ben Abdellah avait légué à la ville : « Il fonda la ville d’Essaouira, avec ses mosquées, ses medersas, ses forts, ses batteries et tout ce qu’elle renferme. »
Les lettrés qui accompagnaient alors le Sultan, étaient originaires de Fès, Mekhnès, Rabat - Salé, et surtout de Marrakech.. C’est la configuration des agents du Makhzen établis alors à Essaouira, ce qui renforçait dés le départ son urbanité. Comme Ahmed ElMansoûr le grand sultan Saâdien se faisait accompagner de l’historien Elfichtâli, Sidi Mohamed ben Abdellah était à cette occasion accompagné de Belqâcem Ezzayâni, auteur du Boustân, titre qu’on peut traduire par « le jardin du savoir », un « savoir » qui couvrait d’une aura de prestige le pouvoir.
La bibliothèque de la madrasa, attenante à la mosquée de la kasbah d’Essaouira contenait les ouvrages de ces copistes, ainsi que des exemplaires du Coran et du hadits, qu’à l’occasion de cette visite royale de 1784, le sultan avait légué en main morte à la ville et à ses étudiants.
Le jeudi 23 octobre 2008, j’ai visité la bibliothèque de l’ancienne medersa de la Kasbah,qui ne contient plus que quelques 200 manuscrits, pour l’essentiel, légués en main morte par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah. Le plus ancien de ces manuscrit, qui explication le Coran, remonte à 833/1430. Et concernant le dernier en date des manuscrits, le registre des Habous note : « Le précis d’Ibn Haroune est dans un bon état, sauf que sa calligraphie est si blafarde qu’elle fait mal aux yeux. Le copiste a achevé son écriture le 15 safar 1223 ».(Soit le 12 avril 1808).
On peut lire au tout début d’un des manuscrits : « Et nous avons envoyé des Prophètes avant toi… » Et au début d’un autre : « La science religieuse est la meilleurs des sciences après le Livre de Dieu et les Dits de son envoyé. Car c’est grâce à elle qu’on distingue le licite de l’illicite ».
Outre des dictionnaires de Faïrouz Abâdi, des précis de grammaire et de jurisprudence (Nawazîl), on relève parmi les manuscrites des œuvres d’Averoès, du Qadi Ayâd, ainsi queDalil el Khayrât d’El Jazouli ; que le copiste avait établi en l’an 1196/1782, soit deux ans avant la visite royale d’avril 1784.
Le manuscrit d’Averoès Al Bayan wa tahçîl (le savoir et la connaissance) commence ainsi : « L’homme est né d’un atome d’argile et d’une goutte d’eau, à qui Dieu insufla la vie en en faisant une créature parfaite et magnifique ».
Averroès y considère le Prophète comme « l’envoyé de Dieu à toute l’humanité » et s’y considère comme faisant partie de ceux qui ont « revivifier la religion après sa mort ».
Après la mort d’Averroès à Marrakech, la pensée unique, imposera une interprétation dogmatique, rigide et immuable de la religion, qui se limitera au Maroc à des prières dont la plus illustre est celle de Dalil el Khayrât d’El Jazouli .On mettra davantage l’accent sur les prières de ce dernier, qui ont eu la fortune que l’on sait au sein des confréries, que sur « le savoir et la connaissance » Al Bayan wa tahçîl d’Averroès.
Dans l’esprit de l’époque la madrasa de la kasbah devait être une réplique de celle de Fès et de Marrakech. La medersa Seffârine de Fès serait la première en date, construite au quatorzième siècle par le Sultan mérinide Yaâqoub ben Abd el-Haqq,qui la pourvut d’une riche bibliothèque :
« Une des clauses du traité de paix qu’il conclut en 1284 avec le roi de Castille fut que celui-ci lui remettait tous les livres arabes qui se trouvaient dans les mains des chrétiens et des juifs de ses Etats...Sancho (le roi de Castille) lui envoya treize charges, composées de Korans, de commentaires comme ceux de Ben Athiya El Thâleby, et autres. L’émir des musulmans (que Dieu lui fasse miséricorde) envoya tous ces livres à Fès et les fit déposer pour l’usage des étudiants dans l’école qu’il avait fait bâtir, par la grâce de Dieu et sa générosité. »
C’est au premier étage surélevée sur les boutiques des Seffarin (relieurs) et desMechchatin (fabricants de peignes), que se trouvait la maisonnette Douiriya) où habitait Al Jazoula durant ses études à Fès. Cette Medersa Seffarin était fréquentée alors par les Ahl Sous principalement.
Sur le cliché il est écrit : Le gouverneur allant à la prière du vendredi
C’est à « Dar Sultan », que le monarque recevait les négociants et les consuls. Le 8 avril 1773 Chenier note à ce sujet : « L’Empereur reçut à Mogador la visite des négociants de toutes les nations sans rien changer aux usages, mais il refusa de voir les vice-consuls d’Espagne, d’Angleterre, et de Hollande, qui résident dans cette place. Tous les négociants, Monseigneur, ont fait à ce souverain des représentations sur l’augmentation considérable du droit sur les huiles... »
A l’envoyé suédois qui disait un jour à Sidi Mohamed Ben Abdellah :
« - Les consuls sont inutiles ici, dès qu’ils n’ont pas l’honneur d’être admis par Votre Majesté... »
Il répondit :
« - Je suis très aise que les consuls soient ici, mais je ne puis point les voir. »
Les négociants juifs jouaient un rôle d’intermédiaire économique et politique : d’un côté, ils étaient « les négociants du Roi » et de l’autre, ils étaient représentants consulaires des puissances étrangères. En effet, pour contourner l’interdit de vente de céréales aux Occidentaux, Sidi Mohamed Ben Abdellah sollicita l’avis des Oulémas, leur demandant si l’on ne pouvait pas autoriser « l’extraction » du blé afin d’acheter armes et munitions ? Leur avis fut favorable. C’est ainsi que les juifs assumèrent les fonctions interdites aux musulmans : le négoce du blé, la bijouterie et la musique – on venait de tout le Maroc, pour consulter au mellah , David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn, sur des modes disparus de la Ala andalouse. A titre d’exemple d’échange de céréales contre des munitions, une dépêche de Louis Chenier datée du 20 juillet 1767 nous signale :
« L’Empereur a mandé en dernier lieu aux négociants des différentes nations (établies à Mogador) que, s’ils désiraient avoir à l’avenir la libre extraction de blé, il fallait lui faire venir des canonniers et des fondeurs pour travailler dans ses Etats. » Et d’après Jacksen, sur le bastion circulaire qui se trouve du côté sud de la ville « le sultan plaça le présent de Lord Heathfield : un canon sous la forme d’un lion. Un chargement de grains libre de droits fut offert par l’Empereur à celui qui lui a offert le canon. »
Dans l’esprit des Etats européens, ces hadiya étaient essentiellement destinées à obtenir des traités de commerce favorables, à se protéger contre les corsaires barbaresques et à faciliter le rachat des captifs. Outre les horloges, les montres et la vaisselle en porcelaine de Chine, étaient les canons et les fusils, la poudre, les bois et les cordages pour la construction et le gréement des navires de guerre.
Vu l’importance du négoce, le sultan créa un tribunal de commerce, et en 1775, un atelier pour la frappe des monnaies chérifiennes fut installé dans la Kasbah. Dans son corpus des monnaies alaouites Daniel Eustache, à la suite d’Ibn Zaïdane, la Kasbah d’Essaouira est citée comme atelier monétaire :
« On voit, dit-il, apparaître à la fin du XVIII è siècle, sur la monnaie d’or et d’argent, le fameux motif constitué par une rose à six pétales, dite « Rose de Mogador », inscrite dans un ou deux cercles linéaires moyens. C’est tout l’art des juifs d’Essaouira que résume cette belle composition décorative, qui figurait encore récemment sur les très beaux bijoux d’argent filigranés d’Essaouira. »
Les escaliers du crépuscule
Je me souviens de ce propos de mon père concernant la Scala de la mer, qu’il avait reproduite en miniature en bois de thuya : son édification aurait duré vingt-quatre années, de 1760 à 1784. Ce qui signifie que Sidi Mohamed Ben Abdellah a visité au mois d’avril 1784 Essaouira en période du daour, non seulement pour se rendre en pèlerinage chez les Regraga mais aussi pour inspecter l’achèvement des travaux des fortifications.
Porte de la Scala côté petite île - photo de 1910
La tradition orale dit que ces fortifications ont nécessité vingt quatre années de travaux. Faites avec lésine, elles furent très vite détruites par les hautes vagues de la tempête, ce qui mit le sultan en colère et l’amena à congédier Cornut et à le remplacer par un Gênois. Des Noirs ont été employés à la construction de la ville comme en témoigne en 1764 Georges Höst :
« Après avoir été tranquilisé des troubles intérieurs, Sidi Mohamed Ben Abdellah s’employa à améliorer l’état général du pays, à construire une nouvelle ville à Souira ou Mogador, et envoya cent fois cent livres de fer et quelques centaines de nègres, ce qui marqua le début de cet endroit curieux. »
Ce fut, semble –t-il, un renégat anglais, désigné dans les chroniques de l’époque sous le nom de Ahmed al-inglisi, qui continua l’œuvre de Cornut. Sur la porte de la marine est inscrit en effet le nom d’Ahmed al-Eulj. Il semble qu’on puisse lui attribuer toutes les fortifications du port et la scalaqui ne figurent pas sur le plan de 1767. Mais ce plan montre assez clairement que Cornut avait déjà fixé le périmètre et les dispositions générales du quartier sud.Comme son nom l’indique, Ahmed al-Eulj faisait partie des Alouj, ces chrétiens convertis à l’islam lors de prises de mer par les corsaires. Le vieux chant de la ville évoque ainsi le quartier des Alouj :
À Derb Laâlouj, j’ai vu des yeux d’un tel noir
Si tu savais, ô mon frère, combien ils m’ont ravi !
Alors que dans les autres médinas, les gens s’établissent d’abord, puis les habitations sont entourées de remparts, à Essaouira, c’est le processus inverse qui s’est produit. On a commencé par la géométrie, et la démographie a dû se couler dans l’espace inscrit par un plan directeur. C’est la Kasbah qui avait induit la médina :les consuls, les négociants et l’administration avaient besoin d’artisans pour bâtir, de paysans pour les nourrir et de soldats pour les protéger. Au XVIII ème siècle, en dehors de la Kasbah, les gens habitaient sous des tentes et dans les casemates qui donnaient à Essaouira un visage militaire, à côté du quartier administratif.Outre les esclaves qui accompagnaient les caravanes du commerce transsaharien en provenance de Tombouctou, la Garde Noire de Moulay Ismaïl – Les Abid Al Boukhari – a été employée dans la garnison et dans les fortifications de la Scala de la mer et du port.
Un type chérifien, qui rappelle les fortifications de Marrakech, protège la ville du côté de la terre (il comporte d’ailleurs la porte dite « Bab Marrakech »). Il est en pierre et enduit d’un crépi de terre. Le chemin de ronde est étroit, les portes arrondies, les tours de batteries parallépipédiques, et les créneaux sont carrés.
Un type européen du côté de la mer. On y ressent une forte influence de Vauban dans la façon de protéger la ville des assauts de la mer. Murs maçonnés sans enduit. Le chemin de ronde est large. Porte à fronton et à colonne cannelée. Tour de guet (échauguette) à angle proéminent. Créneaux biseautés. Ces fortifications n’ont pas pu résister au bombardement de 1844, qui força les citadins à déserter la ville.
Les vieux canons de la Scala
« ...le troisième château est Mogador, situé au bord de la mer. Le château est fort petit et foible, habité par quelques quatre – vingts hommes ; le Roy l’a fait réparer et habiter depuis trois ans (c’est-à-dire en 1628), pour empêcher le trafic des chrétiens avec les Arabes et le santon du païs qui lui sont rebelles. Il y a une isle inhabitée demi lieue à la mer : l’isle commande le château et le port, car elle est tellement située que d’un bout elle commande au dit fort et le peut battre en ruine, et de l’autre elle commande dans le port qui est la retraite ordinaire des forbans pendant l’hyver. Il a une rivière d’eau douce d’où les navires prennent de l’eau en dépit de tous les Maures ; lesdicts château et port de mer sont entre Safi et Ste Croix. Il faut aussi que le Roy y envoie des provisions par mer dans quelques petits bateaux, car les Arabes sont maîtres de la campagne.Le Roy a beaucoup de païs à son commandement et beaucoup de sujets qui lui rendent hommage, sans payer aucun tribut, si lui-même ne le va recueillir dans leurs douars et habitations, ce qu’il fait tantôt en une province, tantôt en une autre, menant avec soi une armée de 15 ou 20 000 hommes à cheval, car ils n’ont point d’infanterie en ce pays ; et, si ce Roy n’y aloit le plus fort, il n’auroit aucun tribut qui consiste en bled, orge ou froment, chevaux, moutons, vaches, chameaux et volailles, car pour de l’argent, il n’en tire point, si non des susdites places où il a des douanes et impôts sur les marchandises. Les juifs faisant tout ce négoce. Il entretient sa maison et son armée par les moyens des dictes douanes et des autres commodités qu’il prend sur ses sujets, payant ordinairement sa gendarmerie de bœufs, moutons, bled etc. Il a de grands trésors d’or, argent et pierreries que lui ont laissé ses prédécesseurs... »
Les Scala du port
Les négociants juifs jouaient un rôle d’intermédiaire économique et politique : d’un côté, ils étaient « les négociants du Roi » et de l’autre, ils étaient représentants consulaires des puissances étrangères. En effet, pour contourner l’interdit de vente de céréales aux Occidentaux, Sidi Mohamed Ben Abdellah sollicita l’avis des Oulémas, leur demandant si l’on ne pouvait pas autoriser « l’extraction » du blé afin d’acheter armes et munitions ? Leur avis fut favorable. C’est ainsi que les juifs assumèrent les fonctions interdites aux musulmans : le négoce du blé, la bijouterie et la musique – on venait de tout le Maroc, pour consulter au mellah , David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn, sur des modes disparus de la Ala andalouse. A titre d’exemple d’échange de céréales contre des munitions, une dépêche de Louis Chenier datée du 20 juillet 1767 nous signale :
« L’Empereur a mandé en dernier lieu aux négociants des différentes nations (établies à Mogador) que, s’ils désiraient avoir à l’avenir la libre extraction de blé, il fallait lui faire venir des cannoniers et des fondeurs pour travailler dans ses Etats. »
La transcription de « Baraka de Mohamed » gravée sur pierre de taille, appelle la bénédiction du Prophète sur la cité. On la trouve sur les donjons dela Scaladu port et de la mer. Les artisans l’utilisèrent comme devise d’Essaouira en l’ incrustant sur de petites plaques de thuya.
Le système déensif à tirs croisés
Les îles permettaient d’installer des batteries de canons à feux croisés : le « bation de surveillance » (borj el âssa), sur l’île faisait face au « bastion de la poudre » (borj el baroud)à l’embouchure de l’oued Ksob et protégeait ainsi l’entrée sud de la baie. De même le « bastion de Moulay Bennacer », toujours sur l’île, faisait face au « bastion circulaire » (borj el barmil) dans le port, défendant l’accès nord de la baie.
I. L'entrée Nord de la rade et du mouillage d'Amogdoul :
L'entrée nord de la rade où les batteries du port et de la petite île (au premier plan) sont en feu croisés avec les batteries sur l'île et îlot de firaoun (en arrière plan) :
le « bastion de Moulay Bennacer », sur l’île, faisait face au « bastion circulaire » (borj el barmil) dans le port, défendant l’accès nord de la baie.
II. L'entrée Sud de la rade et du mouillage d'Amogdoul :
Sur l'île, l'entrée sud de la rade est défendu par deux batteris située de part et d'autre de la mosquée
le « bation de surveillance » (borj el âssa), sur l’île faisait face au « bastion de la poudre » (borj el baroud)à l’embouchure de l’oued Ksob et protégeait ainsi l’entrée sud de la baie.
Lorsque l’escadre du prince de Joinville, fils du roi Louis – Philippe est arrivée le 15 août 1844 au large d’Essaouira, la plupart des canonniers (tobjia) étaient des Alouj. Le chef des canonniers, Omar El Eulj, était le plus illustre de ces convertis : « Qu’attendez-vous pour commencer les hostilités ? » lui avait-on lancé. « Mais avec ou sans munition ? » leur avait-il répondu. (bliqama aoulla bla iqama ?).Des années plus tard, lorsqu’on rapporta cette anecdote au contrôleur civil du Protectorat, il fit appel à David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn juif, et lui demanda de composer une qasida sur ce thème en y insérant la fameuse réplique : « Avec ou sans munition ? ».
La porte de la Marine, Roman Lazarev
En 1844, Mogador avait une populaton de 14000 âmes. Elle était complètement entourée d’un mur d’enceinte haut de dix mètres et courroné de crénneaux dans toute sa longueur. Le système de fortfcatons dressés devant le quarter de la Marine comprenat un rempart en lignes brisées, qui se reliait à la kasbah et était flanqué, au N-O et au S-E, de tours et de batteries casematées.
Voiliers à bon port, Roman Lazare
D’après Jacksen, sur le bastion circulaire qui se trouve du côté sud de la ville « le sultan plaça le présent de Lord Heathfield : un canon sous la forme d’un lion. Un chargement de grains libre de droits fut offert par l’Empereur à celui qui lui a offert le canon. »
Le bastion circulaire de Baba Marrakech où le sultan plaça le présentde Lord Heathfield : un canon sous la forme d’un lion.
La ville allait être mêlée au confli franco-marocain de 1844. On sait la lutte que soutint contre la France en Algérie l'émir Abd el-Qader, qui trouva un important appui, matériel et moral, auprès du sultan Moulay Abd er-Rahman(1822-1859). Celui-ci, en sa qualité de "Commandeur des Croyants", ne pouvait guère refuser son concours à l'émir, qui se faisait le champion de la guerre sainte. D'ailleurs, il n'exerçait qu'une autorité nominale sur les populations du Maroc Oriental qui soutenaient l'émir Abd el-Qader. En outre, un certain parti militait à la cour chérifienne en faveur de la guerre contre la France. le conflit éclata en 1844, à la suite d'incidents de frontière et devant le refus du Sultan d'obtempérer aux demandes de la France concernant la non assistance par les populations marocaines aux luttes d'Abd el-Qader contre l'occupation Française en Algérie. En guise de represailles, le 6 août , l'escadre du prince de Joinville, bombarda la ville de Tanger. Le 14 août, sur les bords de l'oued Isly, à quelques kilomètres d'Oujda, le maréchal Bugeaud mit en fuite l'armée marocaine et, le 15 août, les navirs du prince de Joinville vinrent attaquer Mogador.
La bataille d’Isly
Roman Lazarev
La conquête de l’Algérie par les Français, à partir de 1830, mettait le Maroc en présence d’une situation nouvelle. Sollicité par l’émir Abdelkader, le sultan Moulay Abderrahmane (1822 – 1859) lui avait accordé un asile, puis une armée. La garde royale (mehalla)marocaine soutenait l’Emir Abdelkader et menaçait les opérations de Bugeaud. Aprè de longues hésitations devant l’attitude menaçante de l’Angleterre, la France se décida à une double expédition : par terre sur Oujda et l’oued Isly (d’où le nom de « bataille d’Isly »), par mer, sur Tanger et Mogador. On trouve dans kitâb al-Istiqçâ fi Akhbâr al-Maghrib al-Aqçâ de Ennâçiri Esslaoui, une description vivante de cet évènement dramatique du point de vue marocain :
« En 1259 , les Français étaient maîtres de tout le territoire du Maghrib Moyen , tandis que Elhâdj Abdelqâder ben Mahi Eddin allait et venait sur les confins, tantôt dans le Sahara, tantôt chez les Béni Yznâsen, tantôt à Oujda et dans le Rif . Peut-être dans ses allées et venues, y avait-il autour de lui un grand nombre de sujets ou de soldats du Sultan ? Les Français, envahissant alors l’Empire du Sultan (que Dieu lui fasse miséricorde !) dirigèrent plusieurs incursions contre les Béni Yznâsen et contre Oujda et les environs. Ils prirent Oujda par surprise et livrèrent cette ville au pillage. Leur brigondage désolait la frontière. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur ayant adressé des représentations sur cette violation de son territoire, ils répondirent que le fait d’avoir fourni à plusieurs reprises à Elhâdj Abdelqâder des chevaux, des armes et de l’argent, la guerre qui leur avait été faite par les troupes régulières du sultan massées sur la frontière, et la présence des Béni Yznâsen dans les rangs de l’armée d’Elhâdj Abdelqâder, constituait une violation de la trêve, sans compter d’autres arguments qu’ils mettaient en avant.
Roman Lazarev
Les affaires s’aggravant, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) résolut de déclarer la guerre aux Français. Il invita les habitants des ports à se tenir prêts,à faire bonne garde et à se préparer à toute éventualité. Il donna à son cousin le commandement d’un détachement de réguliers et l’envoya dans la direction d’Oujda. Voici à ce sujet, ce qu’écrivait le Vizir Ben Driss pour appeler au combat la population du Maghrib, les exciter à la guerre sainte et réveiller leur aspiration dans ce sens :
« O habitants de notre Maghrib, il est juste de vous appeler à la guerre sainte : le droit ne se trompe pas.Le polythéisme est à votre porte du côté de l’Est : il a déjà imposé l’injustice aux gens de votre religion.Ne vous laissez pas séduire par la douceur trompeuse qui déjà s’est transformée en colère contre l’Islam.Car il possède toutes sortes de stratagèmes qui défient toute l’intelligence des jeunes et des vieux. Les principes de la trahison commencent à ses bagues : la trahison et le mal abhorré sont sa règle de conduite. C’est vous qu’il vise. Ne restez pas en paix : le repos devant les ennemis est une déchéance. Celui qui reste dans le voisinage du mal sera frappé par le malheur.Comment vivre quand on a des serpents dans son panier ? L’homme noble désire la gloire qui le rend eternel, et celui qui vit dans l’avilissement n’est pas heureux. »
Driss Oumami
Le commandement des troupes fut confié au fils et khalif du Sultan, Sidi Mohamed ben Abderrahman, qui se mit en route et établit son camp au bord de la rivière d’Isly, dans l’obédience d’Oujda. Elhâdj Abdelqâder parcourait toujours le pays, n’ayant plus avec lui qu’environ 500 cavaliers du Maghrib Moyen..Quand le khalif Sidi Mohamed, arrive à l’oued Isly, y eut établi son camp Elhadj Abdelqâder vint lui demander une entrevue. Le khalif le reçut à cheval et eut un entretien avec lui. Entre autres choses Elhadj Abdelqâder lui dit :
- Vous avez été mal inspiré d’apporter avec vous ces tapis, ces effets et tout cet appareil que vous avez placé ici devant le front de l’armée de cet ennemi. N’oubliez pas que vous ne devez jamais vous trouver en face de l’ennemi sans avoir tout plié, et sans laisser une seule tente plantée sur le terrain. Sinon, dés que l’ennemi apercevra les tentes, c’est sur elles qu’il se dirigera, et il n’hésitera pas à perdre pour elles tous ses soldats.
Roman Lazarev
Il expliqua aussi la façon dont il combattait les Français et certes il avait raison de tenir ce langage, mais il ne produisit aucun effet, parce que les cœurs étaient déjà gâtés. Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu. Dans la nuit qui précéda le combat, deux arabes du pays arrivèrent au camp et demandèrent à être introduits auprès du hâjib (chambellan). Arrivés auprès de lui, ils lui dirent :
- L’ennemi se dispose à surprendre demain matin : préparez vous à le recevoir et préparez votre général.
On prétend que le hâjib leur répondit :
- Le général dort à ce moment : ce n’est pas moi qui le réveillerai.
Driss Oumami
Après eux, quatre autres hommes vinrent donner des informations sur l’ennemi : ils furent reçus comme les premiers. A l’aube, le khalîfa venait de terminer sa prière quand une dizaine de cavaliers, arabes selon les uns, gardiens du khalîfa selon les autres, arrivèrent pour lui annoncer que l’ennemi était en route et qu’ils l’avaient quitté au moment où il commençait à lever le camp. Le khalîfa (Dieu lui fasse miséricorde !) donna l’ordre de monter à cheval et de se tenir prêts : personne ne devait rester à la mehella, sauf les fantassins qui étaient moins d’un millier. Il envoya l’ordre de se mettre en selle aux Béni Yznâsen qui arrivèrent par milliers, et qui étaient presque aussi nombreux que les troupes du khalîfa. Les cavaliers marchèrent contre l’ennemi, rangés en bataille à perte de vue, leurs étendards flottant au – dessus d’eux. Ils offraient un spectacle surprenant et présentaient un ordre magnifique. Au milieu d’eux marchait le khalîfa, avec le parasol ouvert au – dessus de sa tête, monté sur un cheval blanc et vêtu d’un manteau rouge, se distinguant des autres par son extérieur et son appareil. Quand les deux armées se rapprochèrent, des lignes de cavaliers se mirent à se porter en avant, comme pour hâter le combat. Mais le khalîfa ordonna aussitôt le calme, la dignité et une marche prudente. Puis, les deux troupes se trouvant face à face, le combat s’engagea. L’ennemi observait surtout le khalîfa et dirigea plusieurs fois le tir sur lui ; une bombe vint même tomber devant le porte – parasol, son cheval s’emporta et faillit le désarçonner. Voyant cela, le khalîfa changea son aspect extérieur. Il fit replier le parasol, monta un cheval baie qu’il se fit amener, et mit un autre monteau. De cette façon, il disparaissait dans la foule. Les musulmans avaient jusque – là , brillament repoussé l’ennemi et lui avaient infligé des pertes sérieuses, leurs chevaux s’effrayaient, des bruits des canons, mais ils les éperonnaient vigoureusement et ils tenaient ferme contre l’ennemi. Mais quand se tournant du côté du khalîfa, ils ne le virent plus, à cause de son changement d’aspect, ils furent pris de peur, car des alarmistes disaient qu’il était mort. Aussitôt le désordre se mit dans leurs rangs. Les chrarda se hatèrent vers lamehalla et, se rendant maîtres des tentes où était l’argent, s’en emparèrent, s’entretuèrent pour se l’arracher. Ceux qui étaient dominés par l’effroi les suivirent, les autres s’esquivèrent peu à peu, de sorte que l’armée fut battue sur tous les points. Un des personnages de son entourage vint annoncer au khalîfa que l’armée était défaite et que les hommes se tuaient et se volaient dans la mehalla. « Gloire à Dieu ! » s’écria-t-il, et, se retournant, il constata la conduite effrayante des troupes, et battit en retraite, les gens qui étaient restés avec lui furent mis en déroute jusqu’au dernier. L’ennemi les poursuivait et lançait sans discontinuer des boullets et des obus. Heureusement, quelques artilleurs tinrent solidement à la mehalla, mais la rivière se mit à couler et submergea ses rives habituelles. Les ordres de Dieu reçurent leur exécution, et se furent les Musulmans seuls qui battirent les Musulmans, ainsi que vous avez pu le voir.
Roman Lazarev
L’ennemi s’empara de la mehalla, et, les pillards s’étant enfuis devant lui, il en resta maître avec tout ce qu’elle contenait. Ce fut une calamité cruelle, un désastre considérable, tel que n’en avait pas encore subi la dynastie chérifienne. Ce triste évènement eu lieu le 15 chaâban 1260, à 10 heures du matin.
Les troupes défaites battirent en retraite et se dispersèrent de tous côtés. Mourant de soif,de faim et de fatigue, les gens se laissaient dépouiller sans resistance par les femmes des arabes Angâd. Le khalîfa parvint jusqu’à Taza, où il resta quatre jours, pour attendre les fantassins et les faibles débris du gueïch, puis rentrer à Fès. »
Driss Oumami
Les chroniqueurs rapportent que le sultan, qui venait de Marrakech et se trouvait à Rabat, apprit la nouvelle et repartit à marche forcée pour Fès. Pendant son voyage, il fut informé successivement du bombardement de Tanger par la flotte de Joinville (6 août 1844) et de celui d’Essaouira par les mêmes unités, avec débarquement de 500 hommes sur l’îlot sis à l’entrée du port (15 août 1844). Cela accrut la fureur du sultan, qui fit raser la barbe à un groupe de caïds de l’armée.
Le bombardement de Mogador
Roman Lazarev
L'ESCADRE française envoyée sur les côtes du Maroc partis de Toulon vers le milieu du mois de juin 1844. Elle se composait seulement, à l'origine, de trois vaisseaux, d'une frégate et de quelques bateaux à vapeur. Un corps expéditionnaire de 1200 hommes avait été embarqué sur les différents navires. Par la suite, un certain nombre d'autres bâtiments furent envoyés pour augmenter la puissance de la flotte française.
Plan levé en 1840, soit 4 ans avant l'attaque
Intitulé : "La flotte Française dans la rade de Mogador le 15 août 1844
Vent variable du N-N.O au N-N.ES
Grosse houle du N-N.O
François-Ferdinand, prince de Joinville, troisième fils du roi Louis - Philippe, alors âgé de vingt-six ans, avait reçu le commandemant de l'escadre. Après avoir fait escale dans le port d'Oran pour prendre contact avec le maréchal Bugeaud, gouverneur général de l'Algérie, il alla mouiller, d'abord à Algésiras, puis à Cadis. Au début du mois de juillet, l'Aviso à vapeur lePhare partit de Cadix pour Mogador.
Bombardement de tanger par le prince de joinville
Après avoir bombarder Tanger, le 6 août, l'escadre revint dans la baie de Cadix, d'où elle repartit à nouveau le 8 août, à destination de Mogador. Elle se composait d'une quinzaine de bâtiments, tant à voile qu'à vapeur, dont trois vaisseaux de ligne, le Suffren , leJummapes,armé de cent trois canons et le Triton.En faisaient également partie : trois frégates, la Belle Poule , l'Asmodée, le Groenland, quatre bricks, l'Argus , le Volage , le Rubis , leCassard ; trois corvettes, le Pluton, le Cassendi, la Vedette, deux avisos, le Phare et lePandour.
Tempête sur la ville.
Ce jour-là, seules les mouettes osent braver les trombes d'eau qui se déversent sur la ville
Reportage photographique d'Abdelkader Mana
Les navires fraçais arrivèrent devant Mogador le 11 août par une fraîche brise du Nord, qui souffla trés fortement durant plusieurs jours.Dés l'apparition de l'escadre, le consul d'Angleterre à Mogador, Wilchir, avait pu faire informer le commandant en chef que tous les Français avaient quitté la ville, mais que les autorités locales s'étaient opposées à son départ et àcelui d'un autre Anglais, Richardson, avant qu'ils eussent payé leur dette. A eux deux, en effet, ils devaient au Sultan environ trois millions de francs. Le 13 août, une frégatte britannique, le Warspite, arriva sur les lieux pour observer les évènements. Le gouvernement de Londres, qui se posait en protecteur du Maroc, ne pouvait se désinteresser des opérations de la flotte française.Le bombardement commença sans que les Anglais eussent trouver la liberté.
Mogador était défendue par de nombreuses pièces d'artillerie, installées tant sur les remparts de la ville et notamment sur la skala de la kasbah et dans l'île. La défense de celle-ci consistait en trois fortes batteries; en outre un réduit était aménagé au centre , autour d'une mosquée. La garnison de l'île, commandée par El Haj Larbi Torrès, comprenaient 320 hommes, choisis parmi les meilleurs soldat du Sultan et les canons étaient servis par des renégats - la plupart espagnols- qui se montrèrent tous bons pointeurs. En effet, la plupart des canonniers (tobjia)étaient des Alouj(des convertis). Le chef des canonniers, Omar El Eulj, était le plus illustre de ces convertis : « Qu’attendez-vous pour commencer les hostilités ? » lui avait-on lancé. « Mais avec ou sans munition ? » leur avait-il répondu. (bliqama aoulla bla iqama ?).Des années plus tard, lorsqu’on rapporta cette anecdote au contrôleur civil du Protectorat, il fit appel à David Iflah, le chantre mogadorien du malhûn juif, et lui demanda de composer une qasida sur ce thème en y insérant la fameuse réplique : « Avec ou sans munition ? ».
Vue panoramique de Mogador depuis la mer
D'après le plan d'époque publié plus haut, la ville est défendue par:
1. Dzira Sghira, 8 pièces.
2.Batterie de la Marine El Ouardinia, 24 pièces.
2 et 4, Fort carré
3.Pont en pierre
Entre 2 et 4 - Batterie de la Marine El Ouardinia 24 pièces
Entre 3 et 4 - Porte de la Marine
5. Porte de la Kasbah
6 à 7 - Scala kasbah - 40 pièces
7. Borj el Barmil, 4 pièces
8.Fort Sidi Mogdoul
9.Bab Doukkala
10.Fortin de l'île de Mogador
11. Batterie el Marissi-6à 7 pièces
12.Batterie Jamaâ
13.Batterie Moulay Bennacer
14.Batterie Dlimi
15.Batterie Feraoun
Voici comment s’est déroulée la bataille d’Isly à Mogador d’après les récits militaires d’Achille Filias, publié à Alger en 1881 :
« La flotte était arrivée devant Mogador, après une traversée des plus pénibles : pendant les trois jours qui suivirent ; les vaisseaux restèrent mouillés au large sans pouvoir communiquer entre eux, tant la mer était mauvaise. Enfin, le 15, le temps s’embellit et, vers les deux heures, au signal donné par l’amiral, tous les bâtiments se mirent en marche.
Le Triton laissa tomber son ancre à 700 mètres à l’Ouest de la ville et en face des batteres de la Marine ; le Suffren et le Jemmapes venaient ensuite. Dés qu’ils furent embossés, les trois vaisseaux commencèrent le feu ; aussitôt après, ordre fut donné à la frégatte la Belle Poule et au Bricks le Cassard, le Volage et l’Argus d’entrer dans le port. La frégatte devait combattre les batteries de la Marine,et le Brickscelle de l’île."
Selon la relation de Jacques Caillé (intitulée:"Les Français de Mogador en 1844-1845) :
La brise molit dans la matinée du 15 août, le prince de Joinville décida de commencer les opérattions.Le bombardement dura deux heures, sans que le feu discontinua de part ni d’autre. Les navires tiraient à plein fouet sur le front des fortificatons et sur les ouvrages détachés ; les Marocains ripostaient de toutes leurs pièces. C’était une véritable grêle de boulets et d’obus. Peu à peu, cependant, l’artillerie de la ville ralentit ses coups : à cinq heures, ses formidables batteries étaient pour la plupart démontées et leur canonniers battaient en retraite.L’île seule tenait encore : le bateau à vapeur le Pluton, le Gassendi et le Phare, portant ensemble un détachement de 500 hommes s’avancèrent, sous une vive fusillade, vers le débarcadère : à cinq heures et demie, la troupe débarquait avec une partie des équipages et, gravissant à la course une pente assez raide, enlevait la première battere sous les yeux de l’amiral, qui avait voulu prendre sa part du danger.
L’île était défendue par 320 soldats, detachés de la garnison de Mogador et choisis parmi les plus résolus : attaqués avec furie, chassés à la baïonnette des positions qu’ils occupaient et poursuivis de broussaille à broussaille, ces hommes se défendaient en désespérés : 180 d’entre eux furent tués ; les autres se réfugièrent dans la mosquée et en barricadèrent l’issue. C’était un siège à faire. Les marins de l’Argus et du Pluton enfoncèrent la porte à coups de canon et pénétrèrent dans les couloirs : la lutte continua jusqu’au moment où l’amiral, voulant éviter un massacre inutile, fit sonner la retraite. On cerna la mosquée et les troupes bivaquèrent. Les vaisseaux retournèrent au mouillage à l’exception de la Belle Poule qui resta dans la passe et, durant toute la nuit, tira à intervalles inégaux sur les batteries de la Marine pour empêcher qu’on vint les réparer.Les pertes Françaises, dans cette seule journée, s’élevèrent à 14 tués et 64 blessés. Parmi les bâtiments qui prirent part à l’acton, leJemmapes, le Triton, le Volage et le Suffren, furent particulièrement maltraités.
Image plus récente de la mosquée de l'île où l'on voit l'effet du vent et du temps
Le 16, aux premières lueures du jour, le détachement qui cernait la mosquée reprit les armes, mais il n’eut point à en fare usage. Les assiégés se rendirent à merci. On compta 140, dont 35 blessés. Tous s’étaient bravement battus, l’amiral leur en tint compte. Au lieu d’en faire des prisonniers de guerre, il les rendit à la liberté et donna l’ordre à Mr. Warnier de les ramener à terre. Les chefs marocains se montrèrent touchés de cet acte de miséricorde : en témoignage de reconnaissance, le Gouverneur de Mogador fit aussitôt conduire à bord du Rubis une vingtaine de sujets anglais au nombre desquels se trouvait avec sa famlle, le vice – consul Sir Wilshire, qu’il avait gardé comme ôtage malgré les pressantes réclamations des officiers duVésivius.
Le prince de Jouinville eût pu s’en tenir aux succès de la veille : il lui parut cependant indispensable de ruiner de fond en comble ceux des ouvrages qui n’étaient qu’entamés, et décida qu’une pointe serait faite sur la ville : une colonne de 600 hommes, dont il prit la direction, débarqua sous la protection des feux du Pandour et de l’Asmodée et gagna rapidement le quartier de la marine. Elle y pénétra sans coup férir : tous les postes étaient désert.
- Aussitôt, dit un témoin, les troupes se mettent à l’œuvre : les magasns à poudre sont noyés, les remparts abattus, les canons encloués et roulés à mer. C’était des pièces de bronze magnifique, moitié anglais, moitié espagnol. L’une d’elles était un chef d’œuvre de l’art ; son affût , également en métal, représentait un lion en pleine course : les quatre pattes de l’animal formaient les quatre roues ; sa tête portait la pièce.Le magasins de la Douane étaient encombrés de marchandises de toutes sortes : on les y laissa dans la crainte que le feu ne gagna trop vite d’immenses approvisionnements de poudre et de bombes répartis dans les casemates des forts. Le prince de Joinville vint lui-même assister à l'opération.On dénombra 120 canons, tous de fabrication anglaise ou espagnole et dont la plupart étaient de magnifiques pièces de bronze. Quelques - uns seulement furent emportés, et les autres encloués et jetés à la mer. L'affût de l'un d'eux, également en métal, représentait un lion en pleine course; les quatre pattes de l'animal formaient les quatre roues et la tête portait la pièce. Les soldats français trouvaient en outre à "la marine" d'immenses magasins, remplis de marchandises de toutes sortes - notamment des cuirs, des laines, des fruits - appartenant au Sultan. Quand tout le quarter ne présenta plus qu’un amas de décombre, la colonne regagna ses vaisseaux. Le soir-même les troupes revinrent dans l'île. A peine avaient-elles quitter le rivage que plusieurs tribus berbères se jetèrent dans la ville et la mirent à sac, après en avoir expulser la garnison. En effet, dès le début du bombardement, les habitants de Mogador avaient pris la fuite et les tribus des environs, Haha et Chiadma,s'empressèrent d'envahir, de piller et d'incendier la ville. Les consulats européens ne furent pas épargnés et, des navires français on voyait des pillards qui s'éloignaient en portant sur le dos de belles glaces dont le soleil projetait au loin l'éclat. Les canonniers français prirent ces glaces pour cibles et réussirent,semble-t-il, à culbuter les voleurs.
Le Prince de Joinville retournant à bord du Pluton en rade de la Rochelle le 22 avril 1844
La tradition orale rapporte que l’un des canonniers d’Essaouira, en ce jour néfaste du 15 août, s’était étonnée : « Où étions – nous quand l’adversaire s’armait pour nous conquérir ?! » Dans la ville un chant anonyme d’époque nous en fait un récit vivace :
Ceci s’est pasé un jeudi
Le monde se voila d’obscurité
C’était avant le Dohr
Les gens étaient assis
Préparant leur déjeuner
Les canons les prirent
Pour cibles de leurs boulets,
Les hommes et les femmes vinrent
Sur les remparts.
C’était un coup venu du ciel.
La négresse se leva en criant :
« Où est mon maître ?! »
Bientôt est venu le soir
Tout le monde était terrifié
Le destin nous a frappé à l’instant
Où Omar El Eulj se baissa et où sa tête vola.
Le prince de Joinville consigna également dans ses notes le souvenir de cette bataille : « les navires Français arrivèrent devant Mogador...La mer était si houleuse qu’ils durent rester mouiller en face de la ville, sans même pouvoir communiquer entre eux. Malgré des bouées de deux cents brasses de chaînes, les ancres se cassaient comme du verre...Les combats étaient des plus violents... »
Joinville lui-même n’échappa que par miracle à la grêle de balles qui s’abattaient sur les assaillants. Accablés par le nombre, les Marocains finirent par se rendre après avoir résisté jusqu’à la dernière limite.
On raconte que ce sont les Chiadma qui ont mis à sac la ville, et que depuis l’îles les soldats français visaient ceux des pillards que trahissaient les miroires qu’ils emportaient le long de la plage. Avant de fuir la ville dévastée, le négociant Touf El Âzz avait dissimulé sa fortune en louis d’or sous du gravier de construction, dans le patio de sa maison. Il a pu ainsi retrouver intacte sa fortune une fois revenu à la ville livrée au pillage.
De la coquette Souira, dont Moulay Abderrahman avit fait sa résidence favorite, il ne restait plus que des murailles criblées de boulets et noircies par la fumée : l’escadre n’ayant plus rien à détruire appareilla le 22 août, partie pour Cadix et partie pour Tanger, où le prince de Jouinville devait attendre le résultat des négociations ouvertes entre les deux gouvernements au lendemain-même de la bataille d’Isly.
Quelques vapeurs restèrent pour fermer l’entrée du port, et un bataillon de 500 hommes fit commis à la garde de l’île. Celle- ci fut évacuée le 17 septembre 1844, après la signature du traité de paix. L’équipage de la Belle Poule encloua les canons pris aux marocains et brisa leurs affûts. Tout ce qui ne pouvait être enlevé fut livré aux flammes. »
Le prince de Joinville ne voulait pas s'embarasser des prisonniers blessés. Il proposa de les échanger contre les Anglais restés à Mogador et son offre fut acceptée par les tribus maîtresses de la ville. Le 17 août, dans la matinée, Wilchir, Robertson et leur familles furent recueillis par une embarcation du Cassard .Puis le Rubis les conduisit à bord du Warspite. Le 17 août également, le prince de Joinville envoya le Véloceconduire au Maréchal Bugeaud, en Algérie, les prisonniers valides.en même temps, le commandant en chef organisait l'occupation de l'île de Mogador, qui n'était qu'un rocher stérile: pas d'eau, pas de bois, quelques abristout à fait isuffisants, des citernes vides, à moitié comblées de ruines, des défenses hors de service. en outre il fallait prévoir la mauvaise saison qui approchait, les difficultés de ravitaillement. on tira des navires tout ce qu'ils purent fournir de vivres, de canon, de poudre, de projectiles et d'ustensiles de toutes sortes. il fallut aussi se procurer des ancres et des chaînes pour la division navale, composée de quelques bricks et canonnières, qui allaient rester devant Mogador. en outre on fit venir des vivres et du charbon, de Cadix, de Gibraltar et même de Lisbonne. La garnison comprit 500 soldats, avec 150 pièces de canon. les hommes furent choisis avec soin, car la perspective d'un long séjour dans l'île manquait d'agrément. Un officier écrivait avec philosophie que "le plaisir de la pêche lui serait d'un grand secours et divertissement, ainsi que les travaux à faire pour installer à l'européenne les bâtiments qu'on allait occuper."
Fort de la petite île, Mogador, démantelé en 1844
Le matin du 24 août le Groenland, quitte Mogador, par un temps brumeux. Le 26 août, les brouillards devinrent même si épais que, de l'arrière du navire, on ne distinguait plus l'avant. Si bien, qu'à 10 heures du matin la frégatte s'échoua sur une plage, à trois lieues au sud de Larache. Quand la brume se fut dissipée, une heure plus tard, les habitants du pays vinrent en nombre sur la côte et commencèrent, sur le bâtiment, une fusillade qui dura plusieurs heures. La corvette à vapeur la Vedette vint alors à l'aide du Groenland et ses canons dispersèrent les assaillants. Le Plutonà bord duquel se trouvait le prince de Joinville, se rendit également sur les lieux.Trois mats en perdition
Dans l'après-midi , les officiers du Véloce débarquèrent en tête, avec leurs interprète, suivis dans plusieurs embarcations, des 23 Marocains. Quand les prisonniers de ceux-ci mirent pied à terre, ce fut un enthousiasme délirant, "un infernal tumulte de joie et tout fut entraîné, le caïd sa garde et même les Français". Les habitants poussaient des hurlements dej oie, avec des larmes dans les yeux. Un des officiers français écrivait: " il fut impossible de savoir ce que nous devenions; je me trouvai enlevé dans une foule, qui déborda comme une avalanche, vers un hangar,où je fut preservé par une douzaine de Maures, qui prirent d'extrêmes précautions pour que je ne fusse pas écrasé."
Alors que la dernière embarcation était encore à deux cent mètres du rivage, elle fut entourée par une multitude de nageurs, qui s'y accrochèrent si vigoureusement qu'elle chavira.
Quand l'ordre fut rétabli, la cérémonie se déroula ainsi : assis au pied de la grande tour carrée des fortifications, le caïd était assisté du cadi et les hommes de sa garde l'entouraient. Le commandant du Véloce et trois de ses officiers se présentèrent les premiers et, derrière eux, virent les prisonniers, El Haj Larbi Torrès en tête. des enfants s'étaient faufilés dans les batteries voisines tandis que les soldats du gouverneur avaient peine à maintenir la foule sur la place. le commandant fit un bref discours au caïd qui le remercia chaleureusement. Puis les
français se retirèrent, tandis que les captifs libérés retrouvaient leurs parents et leurs amis.La remise des prisonniers de Mogador terminait le plus grave conflit qui ait jamais existé entre la France et le Maroc.
Le lendemain,les officiers du Véloce se promenèrent dans la ville, où ils escitèrent la curiosité des habitants. ils y rencontrèrent le capitaine du port "enroué depuis la veille,mais beaucoup plus tranquille". celui-ci s'aprètait à faire porter à bord de la corvette une abondante mounaofferte par le gouverneur: trois boeufs, des moutons, des poules, des fruits, du pain, etc. il s'excusa pourtant de n'avoir pu faire mieux, bien qu'il eût placé une garde de cavaliers à chaque porte de la ville, pour réquisitionner tous les vivres: "Mais, dit-il avec chagrin, ce n'était pas le jour du marché."
Cinq années après ce bombardement, l’explorateur métis Léopold Panet , qui partit de Saint Louis du Sénégal en passant par l’immense Sahara, la kasbah du Chaykh Bayrouk de Goulimine avec sa traîte négrière et enfin Mogador , signale de nombreux boullets de canon jonchant les pieds des remparts. Et Jusqu’ aux années 1960 je pouvais voir encore ma mère en train de moudre les épices dans l’un de ces boullets, que les habitants de la ville avaient recuilli au pied des remparts..
Les contours de l'ancienne kasbah
Le minzah, d'où l'on assistait aux fêtes et cérémonies qui avaient lieu au méchouar - ce qu'une ancienne gravure indique comme étant " l'alcôve du café de l'Empereur"Les trois porte de ce monument appelé "le minzeh"donnent axcès à l'axe principal qui traverse de part en part la ville : à l'ouest de cet axe l'ancien kasbah, à l'est la nouvelle kasbah.Cet artère axiale sépare la médina en deux clans: à l'ouest le clan des Béni Antar, à l'Est celui des Chébanate.
On le voit clairement sur le plan établi par Cornut en 1767: à la fondation de la ville il n'y avait que l'ébauche du port(les deux tours du port avec au milieu la port de la marine et au bout borj el Barmil à l'emplacement du Castello Real) et l'ancienne kasbah entourée de remparts.En dehors de l'ancienne kasbah on voit les contours de ce qui deviendra la médina mais à l'intérieur de cet espace, il n'y avait aucune construction. Nous allons suivre dans les images qui suivent les contours de cette ancienne kasbah.
Les remparts extérieurs de l'ancienne kasbah du temps des caravanes
La porte de l'ancienne kasbah d'où partaient les voyageurs et au dessus de laquelle se trouve la transcription relative à la fondation d'Essaouira : "Grâce à Dieu commence la fondation de cette ville paisible, ordonnée par notre seigneur l'imam Mohamed Ben Abdellah 1765"...La transcription de fondation gravée sur la porte de la kasbah
Détail de la transcription gravée au dessus de la porte de la kasbah
Le mercredi 1er janvier 2003, je note : tout à l’heure j’irai chercher à Souk Akka — l’une des principales artères de la ville — « Iqad Sarira fi Tarikh Saouira » (lumières sur l’histoire d’Essaouira), pour y décrypter la calligraphie de la porte de l’horloge : mon père me disait se souvenir, qu’en 1930, l’auteur de cet ouvrage l’historiographe « fqih Marrakchi », le père du dramaturge Tayeb Saddiki montait sur une échelle pour déchiffrer la transcription relattive à la fondation de la ville, aujourd’hui illisible, parce que trop abîmée par les embruns…
En haut de la porte Est de l’ancienne Kasbah — connue du nom de son portier Mohamed Ben Massaoud, devenue depuis les années 1920 « porte de l’horloge » — la transcription de la fondation de la ville.Selon cette transcription gravée dans la pierre de taille sur ladite porte , le fondateur « a ordonné l’édification de ce havre de paix, en l’an 1178 de l’hégire », ce qui correspond à l’année 1760.
La transcription s’étale sur six lignes qui s’énoncent ainsi :
« À Dieu, je confie mon destin, à lui je m’attache puisque je n’ai que son aile protectrice et rassurante. Si les yeux de la miséricorde t’ont élu : dors tranquille, aucun danger ne peut t’atteindre. Tu peux alors mettre le Simorgh dans tes filets, et viser les gémeaux qui sont les yeux même du bonheur ».
Ces gémeaux — comme Romus et Romulus qui ont veillé à la naissance de Rome — sont sensés apaiser l’esprit des morts, assurer le renouveau des vivants, et veiller sur les échanges humains qui se déroulent toujours sous le signe permanent de la gémelle parité terrestre et céleste.
La porte de l'ancienne kasbah, sans horloge donnait sur le méchouar que traversaient les transporteurs de marchandises en provenance du port : l'un de ses transporteurs qui se dirigeait avec son âne vers l'un des entrepots a été surpris un jour par un négociant juif en train de dérober un sac de jutte plein d'amandes dans une ruelle adjacente : "Demandes - le moi, lui dit-il, plutôt que de subtiliser à mon insu une marchandise qui ne t'appartient pas.! Sauvegardes ta face devant Dieu avant celle des hommes !"
On peut lire aussi à la troisième ligne :
« Le victorieux par la grâce de l’envoyé de Dieu, même les lions se soumettent à sa volonté, dussent-ils le rencontrer dans leur tanière. Tu ne verras point de saint vaincu, ni d’ennemi qui ne soit défait. »
Il s’agit d’un couplet de la célèbre « Bourda »(élégie en hommage au Prophète) de l’Imam Al Bouceiri – poète mystique né en Bosnie en 1211 et mort au Caire en 1296, qui vivait de l’écriture d’epitaphes sur pierres tombales, de louanges et de sarcasmes – qu’on chante au Maroc, lors de rites de passage, sur le mode andalou dit « Al Istihlala » (mélodie d’ouverture), en particulier à la fête de la nativité du Prophète. On raconte que l’Imam Al Bouceiri, était malade lors de la composition de cette élégie de plusieurs centaines de vers, et qu’il a été guéri à la fin de la rédaction de la « Bourda » qui signifie littéralement « tenture du Prophète ».
La légende du lion auquelle se réfère le couplet est probablement à l’origine du nom de l’une des principale porte de la ville ; « La porte du lion ».
Initialement il y avait d'abord l'ancienne kasbah dont on voit les remparts extérieurs à gauche de cette image(cette image est antérieure à l'horloge élevée au début des années 1920).
Le rempart extérieur de l'ancienne kasbah avec horloge et emme en haïk
Le même rempart avec taxis à l'entrée de l'ancienne kasbah
Au sud du Méchouar, il faut tourner à gauche des trois portes, rue des "attara"(marchands d'épices) pour suivre les remparts de l'ancvienne kasbah : en 1767, le plan de Cornut ne comprenait que le port et cette ancienne kasbah et à l'emplacement actuel de derb laâlouj il n'y avait que des huttes et des casemate. Ce n'est que plus tard que le reste de la médina a été construit.
En tournant à droite de ces trois porte on abouti à "Attarine" ci dessous avenc l'enceinte primitive de l'ancienne kasbah.
Mogador-Bab el Attara au fond n'existe plus, photo mars 1933
Souk el Attara - axe opposé à la grande mosquée
La ville était très cloisonée: au fond la porte de l'allée des marchands d'épice qui a disparue et qui donnait à gauche sur l'ancienne porte de l'ancienne kasbah qui a disparu également
"Attara"(allée des marchands d'épices) dans le sens de la mosquée Ben Youssef
Le même axe d'Attara, l'allée des marchands d'épices dans le sens de la mosquée
La Kasbah – ce « quartier du Roy » commel’appelait Cornut – est le plus vieux secteur de la ville. C’était le lieu où résidait « le Makhzen » (l’administration royale), les vice-consuls des pays européens, et les « Toujar Sultan » (les négociants du Roi). Le Sultan avait ordonné à tous les consuls de passer à Essaouira et d’y bâtir une maison. Comme le souligne le Danois Géorges Höst dans son journal de 1765 : Après que Mohamed se fût rendu lui – même à Souira et eût distribué les terrains à bâtir, il ordonna à tous les consuls d’aller là bas eux aussi et d’y faire construire à leur compte, chacun une maison importante et convenable ; tous les ambassadeurs devaient arriver là, tous les pirates devaient amener leurs prises dans la même Souira, et un chantier naval devait y être fondé.
En date du 21 déc.1912, la photo de la porte, que les français ont démoli et qui isolait l'ancienne kasbah de la médina : elle est surmontée du pavillon du consulat d'Angleterre.
L’ancienne Kasbah était habitée essentiellement par les dignitaires du Makhzen et les consuls européens. Mais peu à peu les négociants juifs achetèrent aux musulmans les maisons où ils établirent leur commerce. Selon Jean Louis Miège :« C’est avec les capitaux du sultan que trafiquaient Aflao et Corcos. Jusqu’en 1840, seuls les noms des censeaux juifs apparaissent dans les actes commerciaux. Ils jouent également le rôle d’interprètes pour les consulats européens. Nous touchons ici, aux premières origines du capitalisme juif au Maroc. »
L'ancienne porte de la kasbah était percée dans les remparts des "attara"(marchands d'épices) que voici qui se prolangeaient au milieu de l'actuel derb laâlouj en passant devant le Musée pour rejoindre la batterie de la Scala de la mer.
L'emplacement de l'ancienne porte de la kasbah où une partie des remparts a été démolie: au premier plan l'ancien consulat d'Angleterre surmonté de son porte pavillon et au fond à gauche le minaret de la kasbah.
Une mouette sur le pavillon de l'ancien consulat de Sa Majesté la Reine d'Angleterre. A l'entré nord de la kasbah,à l'ongle de derb laâlouj, se trouvait la maison d'Angleterre qui fut transférée de Tétouan à Essaouira en 1769.
Le rempart qui ceinturait l'ancienne kasbah se prolongeait au milieu de cette allée de "Derb Laâlouj" jusqu'à la Scala.
Les Noirs employés à la construction de la ville habitaient sous des huttes et des casemates en dehors du rempart de la vieille kasbah qui traversait jadis cette artère de derb laâlouj.En 1764 Georges Höst écrit à ce propos:« Après avoir été tranquilisé des troubles intérieurs, Sidi Mohamed Ben Abdellah s’employa à améliorer l’état général du pays, à construire une nouvelle ville à Souira ou Mogador, et envoya cent fois cent livres de fer et quelques centaines de nègres, ce qui marqua le début de cet endroit curieux. »
Ce quartier était dit des Alouj, ces chrétiens convertis à l’islam lors de prises de mer par les corsaires. Le vieux chant de la ville évoque ainsi le quartier des Alouj :
À Derb Laâlouj, j’ai vu des yeux d’un tel noir
Si tu savais, ô mon frère, combien ils m’ont ravi !
Au fond la Scala où aboutissait l'ancien rempart en passant devant le Musée actuel: au 18 ème siècle en dehors des rempart il n'y avait que des huttes et des casemates qui donnaient à Essaouira des aires militaires.
Vue des Consulat - Cliché Garaud
Tous les consulats se trouvaient dans l'enceinte de l'ancienne kasbah, noyau primitif de la ville.Le 20 juillet 1765, Barisien le Danois est reçu par l'Empereur qui lui dit: "Maintenant consul, tes affaires sont conclues, j'ai demandé à Moulay Idriss, de t'aider demain, afin que tu puisse partir après - demain.La construction à Souira doit continuer et Höst, qui habite là, doit y rester comme vice consul."La maison du Danemark se trouve actuellement au fond de la rue Hoummane el Fatouaki.Dans la même rue se trouvait la maison de Hollande construite en 1766,d'après Höst : "Mohamed envoya le consul hollandais,Rossignol, de toute urgence,afin qu'il y établit une belle demeure."Sur un plan espanol daté de 1900, on identifie la maison d'Espagne à l'actuelle "Dar Mussica"(conservatoire de musique).En remontant derb laâlouj, dans l'actuelle rue Ibn Toummert, se trouvait la résidence de l'envoyé de Gênes.
Face à l'atelier de mon père dans l'allée des marqueteurs, dans l'actuel cinéma Scala, se trouvait la maison d'Allemagne.Le consul y organisait des "Avaries", ventes aux enchères des marchandises avariées.
L'atelier de mon père en face du cinéma Scala
Hier, j’étais à la municipalité pour y rencontrer Hallab, le chef du groupe folk local. Il m’a dicté une qasida de Souhoum où l’on parle du Barzakh, cette station céleste des âmes mortes
La kasbah vue par Roman Lazarev
Prisonniers Berbères amenés à la prison sur l'ordre d'Abdel Aziz
On reconnait l'entrée de la mosquée de la kasbah et de sa médersa: juste à côté se trouvait la prison de la kasbah, dans l'actuelle salle de baschet-ball, que les français avaient transormé en caserne lui donnant le nom de "Du Chayla" le navire de guerre qui a conquis la ville en 1913. En ces temps lointains, Iskijji le vieil herboriste allait distribuer leur pitance aux prisonniers de la kasbah, la cité interdite qui était entièrement entourée de remparts et où résidaient les consuls, les amines de la douane et l’administration royal. Mon père me racontait comment grâce à la complicité d’un caïd de la région, l’un de ces prisonniers put s’évader à la faveur de la nuit, en traversant cette vieille porte grâce à la complicité de ses gardiens puis en sautant sur un coursier qui l’attendait en bas des remparts.
La prison à ciel ouvert qui existait sur l'île à la fin du 19è siècle et qui servait initialement de caserne auxx canoniers avant le bombardement de Mogador en 1844 par l'escadre de Joinville.
Au large une autre prison à ciel ouvert existaient sur l'île, on la surnommait "la prison des Rehamna", parce que les dignitaires de cette tribu insoumise du "bled siba" dans le Haouz y ont été jetés à la fin du XIX ème siècle par le Makhzen :
Au large de la rade de Mogador, l'entrée de la casene de l'île où bivouaquaient à ciel ouvert les soldats de moulay Abd er-Rahmane sous la direction de Larbi Torrès, avant le bombardement de 1844. Elle sera transformée ultérieurement en prison où seront jetés par le Makhzen les rebelles Rehamna et où séjourna un certain temps le célèbre Raïssouni des Jbala.Il réussi à s'en évadé et à rejoindre le port mais fut vite repris à la sombre impasse de derb Adouar, du fait qu’il ne connaissait pas vraiment la ville où on l'avait exilé loin de son Jbala natal.où il menait son monde au doigt et à l'oeil : ici personne ne connaissait le chef redoutable qu'il était.....
Au large île de Mogador et vue du port et de la médina en 1917
Ce qui reste de l’île, c’est d’abord cette prison à ciel ouvert, recouverte de toiles d’araignée, telle une tombe de silence avec son tapis d’algues vertes et ses vestiges de murex ayant échappé aux filets des anciens pêcheurs…Il m’importe de beaucoup le devenir de cette île. De savoir comment elle s’est envolée pierre par pierre. Au point qu’il n’en reste plus que cette prison, prisonnière de sa propre histoire. On y aurait découvert des squelettes enchaînés. Pourquoi ces chaînes pèsent – elles encore sur ces squelettes ? Ont –elles peur que leurs fantômes soient des revenants parmi les hommes ?On l’appelait « prison des Rehamna," parce que c’est là qu'on avait parqué cette tribu rebelle et où eut lieu une évasion spectaculaire digne du fameux film de « Papillon » : pour échapper à leur triste sort, les prisonniers avait gonflé, telle des chambre à aire, des outres de chèvres et se sont jetés à la mer pour rejoindre la terre ferme. Malheureusement la plupart des évadés ont péri au beau milieu de la rade : les outres se dégonflaient brusquement au milieux des flots et les pauvres prisonniers ne sachant nager, rejoignaient les fonds marins, en coulant comme des pierres !
La nouvelle kasbah
Le méchouar avant l'élévation de l'horloge, début des années 1920
Du temps où les caravanes en provenance de Tombouctou et qui longeaient la côte pour rejoindre Agadir puis Essaouira passaient soit par Guelmim à l’oued Noun, fief de la famille Bayrouk, soit par la Maison d’Illigh à Tazerwalt, fief des descendants de Sidi Ahmad Ou Moussa. D’ailleurs à la fin du XIXe siècle, Huçein Ou Hachemi de la Maison d’Illigh, comme le Cheïkh Bayrouk, disposaient d’une maison commerciale à la nouvelle kasbah d’Essaouira. C’était le négociant juif Afriat qui s’occupait des intérêts des Bayrouk au port de Mogador. Le cheykh Bayrouk de Goulimine disposait en effet d’un entrepôt où il déposait les marchandises en provenance de Tombouctou, et c’était le négociant Afriat, lui-même originaire de Goulimine qui s’occupait de ses affaires à Essaouira. Ces juifs de Goulimine avaient fini par aboutir dans cette ville saharienne, après leur expulsion d’Espagne, comme le prouvent les motifs des bijoux qu’ils produisaient et qui étaient à bien des égards similaires à ceux des orfèvres d’Andalousie. On se souvient encore aujourd’hui de la famille Bayrouk qui habitait au début du siècle au quartier des gens d’Agadir (quartier d’Essaouira qui porte ce nom parce que ses premiers habitants étaient originaires d’Agadir) : les hommes travaillaient au port, tandis que leur marraine, une mulâtresse, était célèbre voyante médiumnique (talaâ) qui officiait lors des nuits rituelles des Gnaoua.
Les caïds de la région avaient tous une maison à Essaouira : celles du caïd M’barek, du caïd Khoubban et du Caïd Tigzirine, se trouvaient au clan Est des Chébanates, du côté de la terre. Alors que les seigneurs de guerre et du désert, avaient leurs demeures et leurs entrepôts commerciaux au clan Ouest des Béni Antar, du côté de la mer.Expression d’une société segmentaire, cette opposition entre clan Est des Chebanates et clan Ouest des Béni Antar, se manifestait symboliquement chaque année lors du rituel de l’Achoura par une compétition chantée entre les deux clans de la ville . Dans cette même nouvelle kasbah, se trouvait la résidance du caïd Anflous, l’actuelle « Dar Souiri », confisquée par le protectorat après la reddition du dit caïd en 1913 et transformée en « Cercle » (administration des affaires indigènes), ainsi que sa belle demeure de derb Ahl Agadir donnant sur les jardins de l’hôtel des îles, transformée en résidence du contrôleur civil du protectorat..
Le méchouar où se déroulaient des parties de fantasia devant le sultan
En 1863, le sultan Sidi Mohamed Ben Abderrahmane donna l'ordre aux administrations de la douane d'agrandir le quartier de la kasbah. Une nouvelle kasbah entourée de remparts vit le jour au prolangement de l'ancienne. Elle était initialement destinée à loger vingt quatre nouvelles maisons de commerce étrangères. Essaouira était alors une ville commerçante , un des premiers ports du Maroc. On y comptait en 1865, cinquante-deux maisons de commerce.
La nouvelle kasbah à gauche du Méchouar
La nouvelle kasbah qui abritait de nouveaux entrepots, étant donné que ceux de l'ancienne kasbah fondée par Sidi Mohamed Ben Abdellah en 1764 ne suffisaient plus pour entreposer les marchandise. On appelait ces entrepots: "Lahraya dyal Lagracha": les entrepots de la gomme de sardanaque. Elle donne actuellement accès à la galerie Othello, en hommage à Orson Welles, qui tourna en 1949 un film inspiré du célèbre drame Shakespérien dont les héros sont le fougueux maure Othéllo et la charmante Desdémona.Orson Welles qui séjourna à Essaouira pendant six mois, obtint la palme d'or pour ce film en 1952; sous les couleurs marocaines - pour narguer le Maccartisme dont il était l'une des victimes - et avec comme hymne national une chanson de trouveur berbère appartenant à l'aed le Raïs Belaïd, dit-on!
Explorons la nouvelle kasbah, au bout de cette grande rue on aboutit à la plage par "Bab Sbaâ"(la porte du lion) qu'évoque en ces termes le grand poète du malhun souiri Mohamed Ben Sghir dans une qasida intitulée Warchan(pigeon-voyageur). Voyage qui débute par la porte du lion:
Mogador - Bab Sebaâ : La porte du lion qui donne accès à la nouvelle kasbah
De la porte du lion, tu sortiras, colombe
Tu te dirigeras vers Sidi Mogdoul, seigneur du port,
Tu demanderas sa protection
Il est connu même par-delà Istamboul
Sois prudente et éveillée
Dépasse les amas de pierres
Au-delà de la grande colline
Et touche de tes ailes
Moula Doureïn, gloire de notre pays
Demain, de bonne heure,
Tu te purifieras et tu seras matinale
Plus agile que le faucon,
Tu visiteras Akermoud et ses seigneurs !
Bab Sbaâ-une autre vue de l'intérieur -photo de 1889
On voit à gauche la porte d'entrée qui donne à la ruelle où habitaient jusqu'au début des années 1970, Mr Chavot qui m'enseignait au collège Akensous le français et son épouse qui nous enseignait les mathématiques. Le niveau et la qualité de vie des coopérants français étaient alors autrement plus confortables que ceux des enseignants actuels: ils pouvaient se permettre un train de vie aristocratique en se livrant le week - kend à la chasse au lièvre et au pigeon piset sur l'île ou à celle du sanglier dans les environs d'Essaouira! En 1950 Desjacques et Koeberlé enseignants à Mogador, consacraient leurs loisirs à la recherche des silex taillés de l’époque préhistorique. Cette recherche les conduisit dans l’île d’Essaouira où ils trouvèrent dans le sable des fragments de poterie, des pièces de monnaie. Des fouilles plus systématiques furent entreprises aussitôt. En creusant assez profondément du côté de la plage de l’île, sur le « tertre » on a mis à jour une couche phénicienne, la plus profonde, et des couches plus récentes en particulier celle des Romains du temps de JubaII. La petite histoire de cette recherche nous était jusque là inconnue. Desjacques nous l’a racontée, la voici : Comme il était interdit, raconte Desjacques, de chasser sur le continent en période de fermeture, la société de chasse locale Saint Hubert élevait des lapins dans l’île. Les lapins avaient brouté l’herbe et mis à nu le sol. Par le vent qui emportait le sable, par érosion, les pièces antiques étaient visibles à la surface du sol.C’est ainsi que nos deux explorateurs ont découvert à côté de vestiges préhistoriques épars, tels que des silex taillés, des monnaies romaines et une pièce d’argent à l’effegie de Juba II, ainsi que des tessons de poterie sigillés et des fragments d’amphores. C’est la première fois que des vestiges romains sont découverts à une telle distance du Limes de la Mauritanie Tingitane
C'est dans cette même nouvelle kasbah que se trouvait la chambre de commerce que dirigeait feu Abdeljalil Kasri, décédé lors de son pèlerinage à la Mecque:Un jour, au tout début des années 1980, le proviseur du lycée où j'enseignais la littérature et la langue française, m’invita à une réunion prévue vers 16 heures à cette même Chambre du commerce, entre Georges Lapassade, et les connaisseurs du Malhoun de la ville. La réunion était provoquée par Georges qui enquêtait alors sur Ben Sghir, le chantre du malhoun souiri. A l’origine de cette enquête, un article où Hachmaoui et Lakhdar, résumaient la qasida de Lafjar (l’aube) de Ben Sghir sans donner le texte. Après cette réunion à la chambre du commerce, Georges m’embarqua dans l’enquête sur les traditions musicales d’Essaouira et de la région qu’il menait à l’issue du festival d’Essaouira (1981). Une fois à Paris il me faxa ce qui suit à propos de l’article controversé sur le malhoun :
« Ce qui choquait mon esprit de cartésien, y écrivait-il, c’est que nous avons découvert que le cahier d’un certain Saddiki (grand’père du prof. d’histoire du même nom) qu’il avait exposé au Musée et « commenté » était daté en réalité de 1920, et non de 1870 comme ils prétendaient, tirant argument de cela et du contenu du cahier, pour inventer une sorte de pléiade poétique souirie qui aurait eu pour mécène vers 1870, à Essaouira, Moulay Abderrahman ! C’est cela que je contestais beaucoup plus que l’origine souirie de B.Sghir. En effet, ce cahier contenait des qasida diverses, recueillies (peut-être) par le grand’père Saddiki au cours de ses voyages à Marrakech qui du coup devenait souiri ! Etant donné l’impossibilité d’avancer à Essaouira, j’ai fini par me décider d’aller consulter à Marrakech Maître Chlyeh, animateur d’une sorte d’Académie du malhoun. Il m’a fort bien reçu, bien informé et je crois (sans en être sûr) que la version de Lafjar que j’ai ensuite diffusé à Essaouira venait de lui »
Ben Miloud le bazariste qui refusait de participer à notre enquête sur le Malhûn
Toute la démarche de l’enquête ethnographique de Georges Lapassade réside dans ce texte : alors qu’il demandait des informations sur Ben Sghir, au bazariste Ben Miloud, celui-ci était assis sur un vieux coffre qui contenait plein de qasida, dont celles de Ben Sghir ! C’est pour contourner cette rétention d’informations, ces réticences locales qu’il se voyait obligé de se rendre à Marrakech pour obtenir la fameuse qasida de Lafjar (l’aube) !
L’enquête pourrait durer des années, chaque été il revenait à la charge avec son obsession de chercheur et son doute cartésien pour reposer encore et toujours l’énigme Ben Sghir. Il soulevait d’autres lièvres qu’il problématisait à souhait alors même qu’on croyait avoir affaire à des évidences : le sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah avait fondé le port et l’ancienne kasbah et non pas toute la médina comme on le croyait auparavant. Le plan établi par Théodore Cornut en 1767 est là pour prouver que Georges avait raison. Au XVIII èmesiècle, en dehors de la Kasbah, les gens habitaient sous des tentes et dans les casemates qui donnaient à Essaouira un visage militaire, à côté du quartier administratif.
Façade de la Banque d'Etat et colporteurs juifs traversant sur ânes la nouvelle Kasbah
Vu l’importance du négoce, le sultan créa un tribunal de commerce, et en 1775, un atelier pour la frappe des monnaies chérifiennes fut installé dans la Kasbah.
Pièce d'un dirham en argent frappé à Mogador en 1792 et sur laquelle est gravé en creux une rose à six pétales dite "Rose de Mogador"
Dans son corpus des monnaies alaouites
Daniel Eustache, à la suite d’Ibn Zaïdane, la Kasbah d’Essaouira est citée comme atelier monétaire :
« On voit, dit-il, apparaître à la fin du XVIII è siècle, sur la monnaie d’or et d’argent, le fameux motif constitué par une rose à six pétales, dite « Rose de Mogador », inscrite dans un ou deux cercles linéaires moyens. C’est tout l’art des juifs d’Essaouira que résume cette belle composition décorative, qui figurait encore récemment sur les très beaux bijoux d’argent filigranés d’Essaouira. »
Cette nouvelle kasbah contenait la banqe d'Etat du Maroc, que dirigeait un banquier juif
A gauche l'école Anglaise, commissariat ultérieurement
Les enfants d'indigènes doivent se contenter de l'école coranique...
À l’époque, l’Eglise anglicane était très active à Essaouira, au point que les juifs de la ville avaient organisé une manifestation au quartier des forgerons — manifestation immortalisée par une vieille photo en noir et blanc — pour exiger le départ du chef de l’Eglise anglicane accusé de vouloir convertir les juifs au protestantisme.Si dans la plupart des ports marocains, la majorité des Européens installés est catholique, dans celui d'Essaouira il y a une forte proportion de protestants anglicans.Ce qui explique que la première mission protestante à s'implanter dans le pays soit celle entreprise par l'Anglais J.B.C.Ginsburg, en 1875, à Essaouira.Celle-ci s'est attachée très vite à l'évangilisation des juifs de la ville.Dès le premier mois de sa fondation, le grand rabbin d'Essaouira exprima ses craintes au consul de France.Il demande aux autorités marocaine et au consul d'Angleterre d'expulser ce missionnaire de la ville.Les juifs menacèrent de faire appel aux Arabes de l'intérieur pour parvenir à leurs fins.Le gouverneur de la ville fut amené en janvier 1877, à la suite de la manifestation organisée par les juifs, à prier le consul angla.is d'expulser Ginsburg.Les juifs d'Essaouira considéraient les protestants anglais comme des rivaux; les problèmes qui résultent de la cohabitation des juifs avec les protestants étaient plus d'ordre économique que d'ordre religieux
D’après une légende, Sidi Mogdoul aurait débarrassé la ville d’un lion qui se tenait à l’une de ses portes en le guidant au loin par une simple laisse, tel un inofensif caniche...Sidi Mogdoul est le saint patron de la ville qui lui doit son nom de Mogador. Depuis lors on surnomma cette issue "Bab Sbaâ"(la porte du lion).
La porte de la marine, par Roman Lazarev
En 1933, on croisait encore de nombreuses caravanes se dirigeant vers Essaouira. Ma mère était arrivée à Essaouira à l’âge de cinq ans, vers 1933, c’est-à-dire en pleine période du Dahir Berbère décret par lequel le Protectorat visait à promouvoir deux juridictions parallèles, le droit coutumier berbère d’un côté, et le chraâ , ou juridiction musulmane de l’autre. Ce qui unifia par réaction le nationalisme marocain naissant : dans toutes les mosquées du pays, on répéta le Latif (prière dite quand la communauté musulmane est gravement mise en danger) : « Seigneur, aie pitié de nous, en ne nous séparant pas de nos frères berbères ! »
Mogador - Déchargement à marrée basse
Au cinéma Scala, devant l’atelier de mon père, c’était le consulat d’Allemagne. Mon père me disait qu’en sa halle se tenait la criée des marchandises avariées en haute mer.Lors de l’une de ces criées, alors que la femme du consul d’Allemagne traversait le hall, l’un des participants à la criée n’avait plus d’yeux que pour ses beaux atours. Le consul qui présidait la séance se leva alors et jeta violemment l’importun dehors.La femme du consul avait aussi un jeune soupirant qui venait jouer du luth chaque soir au pied de sa fenêtre. Lorsque le consul l’a su, il convoqua son père et mit un revolver sous son nez en le menaçant ainsi :
« Si jamais on me rapporte une nouvelle fois que ton fils est revenu jouer du luth sous les fenêtres de ma femme, il ne sera plus de ce monde ! »
Le père du soupirant s’empressa aussitôt d’envoyer son fils à Fès d’où il était originaire. Et mon père de poursuivre :« Conformément à la volonté du consul, sa dépouille a été rapatriée sur un voilier vers l’Allemagne ».
Mogador - La Marine à marée basse
Ma grand-mère paternelle Mina serait morte en 1919 de la diphtérie, affection qu’on appelait « Hnicha » (serpentine), qui tue par étouffement au niveau de la gorge. Mon père n’avait alors que dix ans, quand sur son lit de mort elle le confia à Abdessalam, le fils aîné de sa sœur, en ces termes :
- Tahar, mon fils est orphelin du père et bientôt il le sera de mère : il n’a que faire du cléricalisme, il faut lui trouver un travail manuel pour vivre.
C’est ainsi qu’Abdessalam allait confier mon père à l’un des premiers marqueteurs d’Essaouira : c’était juste à la fin de la première guerre mondiale. Ce maître confectionnait service de thé et cross de fusils en bois de noyer incrustés d’ivoire, pour la Maison royale et les consuls de la ville.
Juifs, chrétiens et musulmans ont toujours vécu côte à côte à Mogador comme le constatait déjas en1641 le peintre hollandais Adrien Matham : "Il est à remarquer que nous avons ici trois dimanches à célébrer chaque semaine, à savoir, celui des Maures : le vendredi, celui des juifs : le samedi, et le nôtre : le dimanche."
Etant donné qu’Essaouira se trouve à la charnière des Chiadma au nord et des Haha au Sud, elle reçoit aussi bien leurs poulets et autres produits agricols que leurs chants et leurproduction musicale. Mon père me parlait d'une célèbre chanteuse de l'amerg berbère du nom de tawelyakholt qui vivait à derb M'saguina et j'ai moi-même rencontré avant sa mort la cheïkha Aîda qui chanta l'aïta arabohone.
Femmes de Mogador
Le chant berbérophone appelé Amerg ne se limite pas au pays Haha.Mais il couvre tout l'univers linguistique chleuh.Comme l'Aïta couvre la quasi totalité des tribus arabophones. Essaouira n'est pas le centre de ces productions musicales, c'est le point où se rencontrent les deux courants arabophones et berbèrophones.Par contre, du fait de leur position géographique , Agadir est au centre de la production Amerg comme Safi est au centre de l'Aïta. Les musiciens Haha sont plutôt attirés par Agadir et ceux des Chiadma par Safi. Du fait de la marginalité de la ville sur le plan économique, elle ne constitue plus un point d'attrait et d'ancrage - à la manière de la fabrique capitaliste - pour les musiciens. La musique rurale vit désormais dans la ville sous de cassettes chez les disquaires.
Matière et manière
Tapis – Tableaux : L’art de l’indicible
Des œuvres d’art, peuvent se faufiler à notre insu au milieu des objets utilitaires, jusqu’au jour où le regard exercé de l’expert vient les tirer de l’anonymat auquel ils étaient initialement destinées, pour nous révéler leur dignité d’œuvre d’art. Et c’est ce que nous propose Frédéric Damgaard, en publiant en ce mois de novembre 2008 un très beau livre sur l’art des femmes berbères au Maroc.
Il faut, en effet, avoir le regard exercé par une longue fréquentation des formes et des couleurs pour dénicher chez la femme berbère le tapis -tableau qui renvoi à l’art contemporain. Comme jadis il avait découvert des talents d’artiste chez des autodidactes d’Essaouira et de sa région, le désormais célèbre critique d’art Danois, nous propose maintenant sa collection de tissage rurale comme autant d’œuvres d’art.. Après Omar Khayam qui disait dans un célèbre quatrain :
« Allège le pas, car le visage de la terre est recouvert des yeux des biens aimés disparus », on a envie de dire désormais à quiconque foule un tapis : « Faites attention ! Vous êtes peut-être en train de fouler une œuvre d’art ! »
En effet, au-delà de l’origine ethnographique de tel ou tel tapis ou tissage, ce qui frappe dans la collection du désormais célèbre critique d’art Danois, c’est d’abord la puissance d’expression des formes et des couleurs, qui séduit d’emblée le regard. On tombe immédiatement sous le charme magique de ces objets d’art, comme on reconnaît sans médiation la beauté d’un poème ou d’une partition musicale. Formes florales, anthropomorphiques, sinusoïdales ou géométriques, soupoudrées d’or, de rouge et de noire. Damgaard choisit volontairement de mettre en relief des détails pour souligner davantage la parenté explicite qui existe entre cet art des femmes rurales et l’art contemporains au Maroc et ailleurs. Tapis - tableaux qui se prêtent à une double lecture horizontale et verticale ou parfois même le « défaut » de fabrication ou l’usure du temps contribuent à ce caractère insolite et indicible de l’art rural, qui se caractérise par la gourmandise de ses formes et sa transgression de la sacro-sainte règle de symétrie de l’art citadin. Chaque niveau est différent du suivant et le même motif n’est jamais reproduit sous la même forme et la même couleur : variation sur la même note musicale. Et toujours cette harmonie mystérieuse qui anime la structure d’ensemble malgré les contrastes apparents et l’interpénétration de l’horizontal d’avec le vertical.
Des couleurs chaudes comme l’amour et la tendresse féminine. Comme les noces d’été et les fêtes saisonnières. Comme les rêves au lendemain d’une nuit nuptiale. Et toujours ce bonheur de rêvasser sur ces surfaces chatoyantes comme au bord de l’eau et au voisinage du feu. Comme une traversée de champs doré parsemé de marguerite et de coquelicot. On a l’impression de surprendre non pas une tisseuse mais une rêveuse qui tisse par ses fils d’or et de soie, son paradis imaginaire, son jardin secret. La fraîcheur de son regard à la levée des aubes resplendissantes et son éblouissement par les couleurs du crépuscule. Énigmatique plaisir dont seul l’artiste a le secret. Qui oserait piétiner de tels œuvres, que pourtant la tisseuse destinait à un usage purement utilitaire, et à qui le regard expert d’un Damgaard, donne une dignité d’œuvre d’art.
Comme dans une rêverie créatrice, La tisseuse passe d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, pour nous offrir en fin de parcours un tapis – tableau que ne renierait pas l’artiste d’avant-garde le plus contemporain qui soit. Musique silencieuse, émerveillement, moment de grâce. En somme une invitation à la rêverie visuelle, où rien n’est définitivement délimité à l’avance, où les formes en suspens semblent suggérer une continuité vers l’infini au-delà du cadre limité du tapis- tableau. Un espace de prière et pour la prière. Un art sacré donc. Mais aussi un art festif : jaune d’or, mauve pâle…Mais dans l’ensemble on ne sait pas de quelle poésie, de quel mystère, de quelle beauté tout cela est le signe.. On se dit : comment es-ce possible qu’avec un nombre si limité de signes, de symboles et de couleurs, on en est arrivé à ce langage de l’infini ? Chaque tapis – tableau est si différent de l’autre. Et chaque tapis – tableau transcende d’une manière si surprenante les déterminismes ethniques de son origine pour atteindre une expression esthétique universelle. Beauté intrinsèque. Esthétisme qui opère magiquement et immédiatement sur le regard. On est là aux origines de l’art contemporain marocain : mémoire tatoué, transfiguration des saisons printanières d’un pays berbère aux luminosités solaires. Voici donc l’hommage de l’homme venu du grand Nord à l’art des femmes berbères du grand Sud marocain.Le point commun entre la plupart des tapis présentés dans l’ouvrage est d’appartenir soit à des transhumants, soit à des nomades : Béni Mguild, Béni Waraïn, la région de Boujaâd, lesRehamna, les Oulad Bou Sbaâ, les Chiadma et Sidi Mokhtar qui fournit la khaïma auxRgraga pour leur pérégrinations printanières. De là à déceler dans ces tapis berbères une influence saharienne, voire africaine, il n’y a qu’un pas que l’auteur franchit allègrement y compris à juste titre pour des montagnards sédentaires tel les Glawa dont le col de Telouatétait connu pour être un lieu de passage obligé entre l’Univers saharien et africain au sud et l’univers méditerranéen au nord. C’est principalement les deux courants culturellement marquant du monde berbère proprement dit. En effet, certains tapis présentés dans l’ouvrage évoquent ces masques africains sous forme de croix superposées, des totem ou des scènes de chasse telles qu’on peut encore les voire aujourd’hui dans la grotte d’Agdez au Sahara, du temps où celui-ci était verdoyant et attirait pachydermes, autruche et chasseurs africains qu’on voit reproduit par des peinture rupestres.
Un vêtir qui n’appartient nullement au Musée de l’histoire, et dont la fonctionnalité est loin d’être simplement folklorique. Et quand en ces hautes cimes de l’Atlas les tisseuses homériques d’Iswal en pays Glawa se préparent aux rigueurs de l’hiver en fredonnant de frais refrains tout en manillant l’antique quenouille – les chants des tisseuses accompagnent tout le processus du tissage – on obtient alors des objets esthétiques plutôt qu’utilitaires.Par delà les formes et les couleurs communes, les techniques du tissage au Maroc,concernent le tapis en laine du Moyen Atlas, en passant par le « Boucharouette » de la région de Boujaâd, le tissage broché Glawa , le tapis noué Aït seghrouchen, jusqu’au couvertures hanbel Zemmour. Et cela concerne des objets de la vie quotidienne aussi variés que le tapis de selle, le sac, le sacoche, le coussin,la tente des nomades et des transhumants. Cela concerne le vestimentaire au féminin: telle la handira (cap de femme), la tadarrat (le voile de cérémonie), le tissus brodé d’Ighrem ou de Tata. Mais le vestimentaire se conjugue aussi au masculin : en commençant par la djellabah et la tunique de laine que portaient jadis les moines guerriers, en passant par de très beau capuchons et bonnets de bergers de haute montagne. Des vêtements en laine épaisse pour affronter les rigueurs de l’hiver qui caractérise aussi bien les cimes enneigées de Bou Iblân chez les Béni Waraïn du nord-est que ceux des Glawaau sud –ouest. Là haut, il fait en effet très froid, de sorte que dés la tonte des moutons, les tisseuses berbères confectionnent d’épais tapis de laine pour isoler du sol, que des vêtements chauds pour protéger du vent glacial et sec qui balaie les cimes granitiques et dénudées. On fait alors des provisions de navets pour des couscous bien gras. Les berbères sont connus pour trois choses me disait mon père : le port du burnous, la consommation du couscous et les crânes rasés. D’où la nécessité de les couvrir de capuchons et de bonnets surtout quand il neige et quand il pleut. Mais que ces bonnets et ces capuchons soient hauts en couleurs ! Telle en a décidé la bergère à destination de son berger !
Procession des Hamadcha par Roman Lazarev
Le vendre 24 juillet 1987, j'avais interviewé pour "Maroc - Soir", Mr. Haïm Zafrani et Mr. Jean Louis Miège, auteur de l'histoire des relations entre l'Europe et le Maroc aux18 è et 19 ème siècles, qui connait très bien les archives consulaires de Mogador (en particulier ceux des Corcos, l'une des principales famille des négociants du sultan,les fameux "toujar sultan"). Voici sa réponse à l'une de mes questions:
Maroc-Soir. Dernièrement, kakon, natif d’Essaouira a écrit sur la ville un livre intitulé « la porte du lion », Edmond Amran El Maleh a écrit « Parcourt immobile » où on retrouve cette nostalgie pour la ville, Haïm Zafrani en parle également…Comment expliquez – vous cette nostalgie de la communauté juive pour sa ville malgré le départ ?
J.L.Miège : Je pense que vous pouvez poser la question à mon ami Haïm Zafrani qui vient d’arriver à l’Université d’été de Mohammadia. Nous en avons justement beaucoup parlé aujourd’hui au déjeuner. Je pense que cette nostalgie tient d’abord d’une façon générale à la nostalgie qu’on a de ses racines. Et moi-même né à Rabat et ayant une famille qui a vécue 60 ans au Maroc ; je ne peux manquer d’avoir de la nostalgie de mes racines. Je pense ensuite, que cette communauté avait une très profonde originalité, parce qu’elle est à la fois très marocaine, très enracinée mais également très ouverte sur l’extérieur, très vivante et il y a eu là une petite civilisation – j’oserai dire dans la grande civilisation séfarade Judéo – Arabe et plus spécialement Judéo – Marocaine. Et il y a eu une micro - civilisation particulière de Mogador qui tenait justement à ces particularités et peut être à une teinte Anglaise due à quelques Gibraltariens qui apportaient une touche supplémentaire et que cette synthèse d’éléments, ce décore si particulier de la ville si belle de Mogador, qui avait crée cette petite civilisation Judéo – Marocano – Mogadorienne ou Essaouirienne oserai – je dire."
En ce même début des années 1980, je rencontre un jour Edmond Amran El Maleh en plein centre ville et je l’invite à une lecture d’un passage de mon journal de route, qui porte sur la nuit des Oulad Bouchta Regragui. Une nuit de transe et de flamme. Une fois la lecture terminée, je me souviens que l’auteur de « parcours immobile » n’avait pas émis de commentaires sur la valeur littéraire de mon texte comme je l’espérais...
Mon père qui était venu nous rejoindre pour le thé raconta à notre invité d’honneur cette anecdote: « Pour se rendre d’Essaouira à Marrakech un négociant juif a demandé au pacha de la ville de lui désigner unmokhazni (agent du Makhzen), pour l’accompagner. Il fallait alors trois jours à dos de mulet pour parcourir la distance qui sépare Marrakech d’Essaouira, son avant-port. Le mokhaznise présente alors au magasin du négociant juif et l’interpelle sur un ton brutal :
- Je viens de la part du pacha : quant est-ce que nous irons à Marrakech ? !
Le négociant lui rétorque alors :
- Vas dire au pacha que le voyage est reporté.
Le pacha ayant compris que le « report » est plutôt dû à l’indélicatesse dudit mokhazni, en désigna un autre réputé pour son tact et son savoir – vivre. Ce dernier se rendit d’abord chez lui, mit son plus beau burnous et se parfuma de musc. Une fois arrivé chez le négociant, il le désigna par ses triples qualités :
- Salut Monsieur le Consul, le Négociant, et le Rabbin…
Ce dernier se retourna alors vers l’assistance en lui disant :
- Avez-vous vu l’incarnation même de la politesse ? Prépares-toi au voyage, on prendra la route très tôt demain matin… ». L’anecdote concernait le propre grand-père de l’écrivain ! Originaire des Aït Baâmran, dans le sud marocain, Joseph Amran el Maleh était en effet à la fois grand Rabbin de la Kasbah, négociant en plumes d’autruches et consul représentant la nation d’Autriche à Mogador !
Drawing up the mariage contract
Etre médini n’est pas seulement le fait d’habiter la médina au sens de ville traditionnelle, c’est aussi une conception du monde et une position dans la culture. Etre médini , c’est connaître de l’intérieur et pratiquer la culture traditionnelle de la médina. C’est être le produit d’un HABITUS MEDINISTE.En tant que patrimoine commun des médini , la musique des médina est un élément fondamental du système.Il existe au Maghreb un modèle culturel commun aux médinas traditionnelles. S’agissant de la musique, comme d’ailleurs d’autres formes d’art, nous savons que le modèle est venu de la civilisation Andalouse ; c’est notamment Ziriab, l’oriental installé à Cordoue qui a contribué à la fixation des règles de lanouba.Mais le modèle musical médini ne se limite pas aux différentes écoles de musique andalouse : ala et malhûn. Il s’y ajoute d’autres composantes telle la musique sacrée et la musique d’origine soudanaise des Gnaoua. Si ces derniers apparaissent à première vue marginaux, ils font néanmoins partie de la mémoire et de la tradition collective de la médina.
Feu maâlem Boubker et son fils maâlem mahmoud Guinéa
16:28 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, photographie